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Page:Les Œuvres libres, numéro 10, 1922.djvu/25

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violence. L’égalité est bonne quand l’homme a peur de devenir, par quelque chose, supérieur aux autres. L’égalité est un fléau quand l’homme hait tous ceux qui lui sont supérieurs.

« Tout ce que je viens d’écrire répond à cette question de votre lettre : pourquoi des hommes bons ont-ils péri en défendant la constitution ? Tous les hommes sont bons ; mais vous employez ce qualificatif dans le sens que ces hommes ont fait une œuvre bonne. Voilà ce que je n’admets pas. Pour chacun il n’est qu’une seule œuvre bonne : « vivre pour son âme », « vivre selon Dieu » comme disent ces paysans stupides que, si magnanimement, les étudiants, les écoliers, les professeurs, les dentistes, désirent soulager. L’homme qui vit ainsi, qui s’assigne comme tâche principale d’augmenter en soi l’amour du prochain, de se délivrer de ses vices, de ses méchancetés (et dans l’âme de chacun il y en a assez pour qu’on s’examine avec attention) n’arrivera pas de sitôt au désir d’éclairer les autres, pas plus par la doctrine socialiste ou anarchiste que par la doctrine chrétienne. Un tel homme, précisément parce qu’il travaille à son propre perfectionnement, sera exigeant pour lui et ne se vautrera pas, comme votre Pierre, sur un divan en taquinant sa cuisinière. Il manifestera en tout son activité (puisque la vie c’est le mouvement ) non afin de faire la leçon aux autres, mais pour ne pas vivre mal soi-même, puisque, avant tout, il est mal de vivre sans travailler en profitant du travail des autres. Dans le cas présent, il ne se moquera pas de sa cuisinière mais, voyant en elle un être humain, il se comportera envers elle avec amour et respect ; il l’aidera peut-être dans son travail et répondra à ses questions le plus respectueusement possible.

« Je vous écris si longuement parce que ce sujet m’est particulièrement sensible. Toutes les