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JALOUSIE

pour moi à quelque chose d’arrangé, qu’elle ne voulait pas me dire, et qu’il y avait quelqu’un que son absence rendrait malheureux comme je l’étais. Voyant que ce qu’elle avait voulu n’était pas possible, puisque je voulais l’accompagner, elle renonçait franchement. Elle savait que ce n’était pas irrémédiable. Car comme toutes les femmes qui ont plusieurs choses dans leur existence, elle avait ce point d’appui qui ne faiblit jamais, le doute et la jalousie. Certes, elle ne cherchait pas à les exciter, au contraire. Mais les amoureux sont si soupçonneux qu’ils flairent tout de suite le mensonge. De sorte qu’Albertine, n’étant pas mieux qu’une autre, savait par expérience (et sans se douter le moins du monde qu’elle le dût à la jalousie), qu’elle était toujours sûre de retrouver les gens qu’elle avait laissés de côté un soir. La personne inconnue qu’elle lâchait pour moi, souffrirait, l’en aimerait davantage (Albertine ne savait pas que c’était pour cela) et pour ne pas continuer à souffrir, reviendrait de soi-même vers elle, comme j’aurais peut-être fait. Mais je ne voulais ni causer de la peine, ni me fatiguer, ni entrer dans la voie terrible des investigations, de la surveillance multiforme, innombrable. « — Non, Albertine, je ne veux pas gâter votre plaisir, allez chez votre dame d’Infreville, ou enfin chez la personne dont elle est le prête-nom, cela m’est égal. La vraie raison pour laquelle je ne vais pas avec vous, c’est que vous ne le désirez pas, que la promenade que vous feriez avec moi n’est pas celle que vous vouliez faire, la preuve en est que vous vous êtes contredite plus de cinq fois sans vous en apercevoir. » La pauvre Albertine craignit que ses contradictions qu’elle n’avait pas aperçues eussent été plus graves. Ne sachant pas exactement les mensonges qu’elle avait faits : « — C’est très possible que je me sois contredite.