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JALOUSIE

L’air de la mer m’ôte tout raisonnement. Je dis tout le temps les noms les uns pour les autres. » Et (ce qui me prouva qu’elle n’aurait pas eu besoin d’un grand nombre de tendres affirmations pour que je la crusse) je ressentis comme la plus atroce blessure, cet aveu de ce que je n’avais, je le vis, que bien faiblement supposé. « — Hé bien ! c’est entendu, je m’en vais, dit-elle d’un ton tragique, non sans regarder l’heure afin de voir si elle n’était pas en retard pour l’autre, maintenant que je lui fournissais le prétexte de ne pas passer la soirée avec moi. Vous êtes trop méchant. Je change tout pour passer une bonne soirée avec vous, et c’est vous qui ne voulez pas, et vous m’accusez de mensonge. Jamais je ne vous avais encore vu si cruel. La mer sera mon tombeau. Je ne vous reverrai jamais. (Mon cœur battit à ces mots, bien que je fusse sûr qu’elle reviendrait le lendemain, ce qui arriva.) Je me noierai, je me jetterai à l’eau. » « — Comme Sapho ! » « — Encore une insulte de plus, vous n’avez pas seulement des doutes sur ce que je dis, mais sur ce que je fais. » « — Mais, mon petit, je ne mettais aucune intention, je vous le jure, vous savez que Sapho s’est précipitée dans la mer. » « — Si, si, vous n’avez aucune confiance en moi. » Elle vit qu’il était moins vingt à la pendule, elle craignit de rater ce qu’elle avait à faire, et choisissant l’adieu le plus bref (dont elle s’excusa, du reste, en me venant voir le lendemain, l’autre personne n’était pas libre ce lendemain-là), elle s’enfuit au pas de course en criant : « Adieu pour jamais », d’un air désolé. Et peut-être l’était-elle. Car sachant ce qu’elle faisait en ce moment, mieux que moi, plus sévère et plus indulgente à la fois à elle-même que je n’étais pour elle, peut-être avait-elle tout de même un doute que je ne voulusse plus la recevoir après la façon dont elle m’avait quitté. Or, je crois qu’elle tenait à moi,