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Page:Les Deux Bourgognes, tome 7, 1838.djvu/105

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s’asseoir devant la harpe, mais il y est resté plus longtemps qu’hier. Il m’a rappelé comment nous nous étions connus à Florence ; il m’a chargé de tant de malédictions, il m’a peint ses tortures avec tant de vérité, que j’en ai pleuré amèrement.

— Il t’a parlé ? dit le vieillard.

— Je n’ai pas vu sa bouche s’ouvrir, mais je ne le comprenais que trop bien.

— Comment cela ? demanda Cornelio.

— La musique n’est-elle pas le langage le plus intelligible pour l’âme ? Avec de simples accords, il m’a tout dit et j’ai tout compris. Ah ! si vous l’aviez entendu, mon père ! Il a commencé par de tendres accords en si bémol, qu’il détachait lentement et avec régularité. C’était comme s’il m’eût dit d’une voix triste et douce : « Te souviens-tu de nos promenades au bord de l’Arno, du frais gazon où nous nous assîmes, de la lune qui se levait à travers le feuillage, du cor lointain qui pleurait dans les bois ? J’étais alors heureux et tranquille. Tu me laissais te contempler et c’était assez pour moi. Pourquoi le destin a-t-il voulu que mon ciel se couvrît de nuages ? »

Ici l’harmonie s’assombrissait. Un déluge de notes désordonnées marquait le vol du mauvais génie qui s’abattait sur son esprit. Enfin éclatèrent des accords criards en la, dans leurs renversements les plus capricieux. – Jalousie, fauve couleuvre, criaient ses accents entrecoupés, qu’as-tu fait du plus pur sang de mon cœur, dont tu t’es gonflée ? – Pourquoi as- tu creusé en moi ta caverne où rampent les hideux reptiles, tes enfants ? Vous savez ce que j’ai souffert dans mes longues insomnies, sueurs de sang qui avez coulé de mon front ! Ah ! que les ténèbres m’enveloppent ! que la pluie glace mes membres fatigués ! que le néant, que le froid néant m’engloutisse, pourvu que s’éteigne ce feu brûlant qui dessèche mon cerveau !