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Page:Les Deux Bourgognes, tome 7, 1838.djvu/19

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trompeur. Si quelque puissant motif ne vous force à rester inconnu, c’est en voyant vos traits que je connaîtrai le mal et que j’en trouverai le remède. »

L’étranger eut un instant d’hésitation ; mais il rejeta en arrière le capuchon de soie qui retombait sur son visage et laissa voir un front élevé, pâle et luisant comme du marbre, qui se cachait sous d’épais cheveux noirs. Ses deux sourcils, légèrement contractés, couvraient un œil où brillait un regard tranquille et sombre, comme celui d’un homme qui dévore une insulte en attendant l’instant de se venger. C’était une figure noble et belle encore, malgré la profonde tristesse dont elle portait l’expression.

Cornelio s’approcha et dirigea la clarté de sa lampe sur la tête de l’inconnu, qui parut vivement éclairée au milieu de l’obscurité de l’appartement. Comme un sculpteur qui se relèverait au milieu de la nuit pour étudier son œuvre terminée, il considéra attentivement les divers linéaments de la physionomie qui frappait ses regards.

« Je lis bien des choses, dit-il, dans cette pâleur et dans ces rides précoces. Il y a un désenchantement amer dans le coin de cette bouche comprimée, tandis que le dessus du visage me révèle une passion énergique trompée, à laquelle a succédé la haine.

— Tu dis vrai, vieillard, reprit l’inconnu, dont l’œil noir lançait une flamme étrange. La femme que j’ai aimée plus que tout au monde, à qui j’ai tout sacrifié : fortune, honneurs, préjugés nobiliaires, m’a lâchement trahi, en jetant le deuil sur le reste de mon existence. La passion la plus profonde et la plus brûlante a été payée par ce qu’ont de plus insultant l’ingratitude et la légèreté féminine.

— C’est une histoire rebattue, dit Cornelio avec un soupir.

— Et cela quand ce cœur brûlant, poursuivit l’étranger en se frappant la poitrine, croyait s’être ouvert à l’être le plus