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Page:Les Deux Bourgognes, tome 7, 1838.djvu/44

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Mais non. Tout cela est mystérieux, et la ville entière en a été témoin. Je veux tout vous dire pour que vous en soyiez juge, mon père. Hier soir, je chantais dans le Barbier de Séville. Jamais je n’avais été saluée de plus d’applaudissements. Ma première entrée avait été un triomphe et, à chaque grand morceau, les cris, les trépignements recommençaient. L’enthousiasme de l’auditoire, en réagissant sur moi, avait redoublé la bravoure de mon chant et de mon jeu. Enfin le spectacle touchait à sa fin ; le comte Almaviva me donnait déjà la main, quand tout à coup, à minuit sonnant, je me le rappelle, je sens succéder à l’enivrement que j’éprouvais un horrible malaise. Il me semble voir fixés sur moi des milliers de regards, brillants et menaçants, comme ceux du serpent qui fascine l’oiseau sans défense. Je vois sortir de la rampe des démons hideux qui m’épient, tandis qu’une légion de spectres ailés se mettent à planer en rond autour du lustre. La peur me saisit ; mes jambes se dérobent sous moi ; je crois sentir une force invincible qui m’entraîne dans l’espace, et, sans pouvoir proférer une parole, je tombe sans connaissance aux yeux des spectateurs étonnés.

— Diable, dit Cornelio en se grattant la tête, voici qui est singulier en effet.

— On m’emporta, reprit la jeune femme, pour me prodiguer des secours. Au bout de cinq minutes, je revins à moi, mais j’éprouvais un supplice vague ; mon sang ne circulait plus comme auparavant ; je sentais je ne sais quelle oppression peser sur mon âme. Rentrée chez moi, j’ai voulu recourir à mon remède ordinaire ; j’ai pris ma harpe, et j’ai essayé de chanter ; mais il m’a été impossible de joindre deux notes ensemble.

— Es-tu bien sûre, lui demanda son père, que c’est à minuit juste que tu as eu cette vision ?

— Très sûre, répondit la Zoccolina ; minuit venait de sonner à l’horloge de la scène. »