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Page:Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes 01.djvu/423

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quelques peintures qui, outre celles exécutées dans d’autres endroits (comme, à Pérouse, une salle dans la maison des Baglioni, aujourd’hui ruinée), l’avaient fait connaître à Florence. Y ayant été appelé, il fit sa première œuvre au coin des Carnesecchi, à l’angle des deux rues dont l’une conduit à la nouvelle et l’autre à l’ancienne place de Santa Maria Novella ; c’est un tabernacle peint à fresque, qui représente la Vierge entourée de saints[1]. Parce qu’il plut et fut grandement loué par tous les citoyens et les artistes d’alors, il excita une plus grande haine dans l’esprit maudit d’Andrea contre l’infortuné Domenico. Décidé de faire par tromperie et trahison ce qu’il ne pouvait exécuter à découvert, sans se mettre en danger, il simula la plus grande amitié pour Domenico ; celui-ci, étant bonne personne et d’une humeur affable et qui, de plus, chantait et se plaisait à jouer du luth, le prit volontiers en amitié, Andrea lui paraissant être un homme de talent et agréable. Cette amitié continuant donc son cours, vraie d’un côté et feinte de l’autre, chaque nuit les deux artistes se promenaient ensemble et faisaient des sérénades à leurs amoureuses, ce qui plaisait infiniment à Domenico et fut cause qu’aimant Andrea, il lui apprit le procédé delà peinture à l’huile, que l’on ne connaissait pas encore en Toscane.

Pour revenir à la grande chapelle de Santa Maria Nuova, Andrea peignit sur son mur une fort belle Annonciation, dans laquelle il introduisit le motif nouveau de l’Ange volant dans les airs. Dans une partie encore plus belle, il représenta la Vierge gravissant les degrés du temple. D’un autre côté, Domenico peignit à l’huile Joachim visitant sainte Anne ; au-dessus, la Naissance de la Vierge et en bas, le Mariage de la Vierge. Cette œuvre resta inachevée pour les causes que nous dirons plus bas. Andrea avait sur sa paroi peint, également à l’huile, la Mort de la Vierge, et dans cette scène il se représenta sous les traits de Judas Iscariote, dont il avait réellement le caractère.

Cette œuvre terminée, Andrea aveuglé par la haine et furieux des éloges qu’il entendait prodiguer à Domenico, résolut de se débarrasser de son rival et s’y prit de la manière suivante[2]. Un soir d’été, Domenico prit son luth selon son habitude et sortit de Santa Maria Nuova, laissant, dans sa chambre, Andrea en train de dessiner, et n’ayant pas voulu l’accompagner, sous prétexte qu’il avait à faire cer-

  1. Actuellement à la Galerie Nationale de Londres, signé : DOMINICVS D. VENESIIS, F.
  2. Tout ce récit est controuvé ; comparer les dates de mort des deux artistes. L’origine de cette légende est peut-être la suivante : au commencement de novembre 1443, un certain Domenico di Matteo, peintre florentin, fut assailli dans la rue et assassiné.