Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/134

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céleste, ni par le déshonneur qui allait rejaillir sur une honnête famille, ni même par la pitié naturelle qu’il devait avoir d’un enfant de six mois que sa femme portait dans ses flancs, il s’approcha de sa victime, et lui dit d’un ton furieux : Il faut périr, misérable ! et tu n’as plus qu’un moment à vivre, que ma bonté te laisse pour prier le ciel de te pardonner l’outrage que tu m’as fait. Je ne veux pas que tu perdes ton âme comme tu as perdu ton honneur.

En disant cela, il tira son poignard. Son action et son discours épouvantèrent Estéphanie, qui, se jetant à ses genoux, lui dit les mains jointes et toute éperdue : Qu’avez-vous, Seigneur ? Quel sujet de mécontentement ai-je eu le malheur de vous donner, pour vous porter à cette extrémité ? Pourquoi voulez-vous arracher la vie à votre épouse ? Si vous la soupçonnez de ne vous être pas fidèle, vous êtes dans l’erreur.

Non, non, reprit brusquement le jaloux ; je ne suis que trop assuré de votre trahison. Les personnes qui m’en ont averti sont dignes de foi. Don Huberto… Ah ! Seigneur, interrompit-elle avec précaution, vous devez vous défier de don Huberto. Il est moins votre ami que vous ne pensez. S’il vous a dit quelque chose au désavantage de ma vertu, ne le croyez pas. Taisez-vous, infâme que vous êtes ! répliqua don Anastasio. En voulant me prévenir contre Hordalès, vous justifiez mes soupçons au lieu de les dissiper. Vous tâchez de me rendre ce parent suspect, parce qu’il est instruit de votre mauvaise conduite. Vous voudriez bien affaiblir son témoignage ; mais cet artifice est inutile, et redouble l’envie que j’ai de vous punir. Mon cher époux, reprit l’innocente Estéphanie en pleurant amèrement, craignez votre aveugle colère. Si vous en suivez les mouvements, vous commettrez une action dont vous ne pourrez vous consoler, quand vous en aurez reconnu l’injustice. Au nom de Dieu, calmez vos transports ! Donnez-vous du moins le temps d’éclaircir vos soup-