Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/281

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La vie molle et fainéante que je menais avec le vieil ermite ne pouvait déplaire à un garçon de mon âge. Aussi j’y pris tant de goût, que je l’aurais toujours continuée, si les Parques ne m’eussent point filé d’autres jours fort différents ; mais la destinée que j’avais à remplir m’arracha bientôt à la mollesse, et me fit quitter le frère Chrysostome de la manière que je vais le raconter.

Je voyais souvent ce vieillard travailler au coussin qui lui servait d’oreiller ; il ne faisait que le découdre et le recoudre, et je remarquai un jour qu’il mit de l’argent dedans. Cette observation fut suivie d’un mouvement curieux, que je me promis de satisfaire dès le premier voyage qu’il ferait à Tolède, où il avait coutume d’aller tout seul une fois la semaine. J’en attendis le jour impatiemment, sans avoir encore toutefois d’autre dessein que de contenter ma curiosité. Enfin le bonhomme partit, et je défis son oreiller, où je trouvai, parmi la laine qui le remplissait, la valeur peut-être de cinquante écus en toutes sortes d’espèces.

Ce trésor apparemment était la reconnaissance des paysans que l’ermite avait guéris par ses remèdes, et des paysannes qui avaient eu des enfants par la vertu de ses oraisons. Quoi qu’il en soit, je ne vis pas plus tôt que c’était de l’argent que je pouvais impunément m’approprier, que mon naturel bohémien se déclara, il me prit une envie de le voler, qu’on ne pouvait attribuer qu’à la force du sang qui coulait dans mes veines. Je cédai sans résistance à la tentation ; je serrai l’argent dans un sac de bure où nous mettions nos peignes et nos bonnets de nuit ; ensuite, après avoir quitté mon habit d’ermite et repris celui d’orphelin, je m’éloignai de l’ermitage, croyant emporter dans mon sac toutes les richesses des Indes.

Vous venez d’entendre mon coup d’essai, continua Scipion, et je ne doute pas que vous ne vous attendiez à un suite de faits de la même nature. Je ne tromperai