Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/348

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rompirent leurs mesures, et en prirent de si justes pour s’assurer cette place, qu’ils l’emportèrent sur leurs concurrents. Le comte d’Olivarès étant devenu premier ministre, a fait part de son administration à don Baltazar son oncle ; il lui a laissé le soin des affaires du dehors, et s’est réservé celles du dedans ; de sorte que, resserrant par là les nœuds de l’amitié qui doit naturellement lier les personnes d’un même sang, ces deux seigneurs, indépendants l’un de l’autre, vivent dans une intelligence qui me paraît inaltérable[1].

Telle fut la conversation que j’eus avec Joseph, et dont je me promis bien de profiter ; après cela j’allai remercier le seigneur de Zuniga, de ce qu’il avait eu la bonté de faire pour moi. Il me dit fort poliment qu’il saisirait toujours les occasions où il s’agirait de me faire plaisir, et qu’il était bien aise que je fusse satisfait de son neveu, auquel il assura qu’il parlerait encore en ma faveur, voulant du moins, disait-il, me faire voir par là que mes intérêts lui étaient chers, et qu’au lieu d’un protecteur j’en avais deux. C’est ainsi que don Baltazar, par amitié pour Navarro, prenait ma fortune à cœur.

Dès ce soir-là même j’abandonnai mon hôtel garni pour aller loger chez le premier ministre, où je soupai avec Scipion dans mon appartement. C’était une chose à voir que notre contenance ! Nous y fûmes servis tous deux par des domestiques du logis, qui, pendant le repas, tandis que nous affections une gravité imposante, riaient peut-être en eux-mêmes du respect de commande qu’ils avaient pour nous. Lorsqu’ils se furent retirés après avoir desservi, mon secrétaire, cessant de se contraindre, me dit mille folies que son

  1. Tous ces détails sont historiques. « Le comte d’Olivares, qui cachait sous le voile d’une extraordinaire modestie une grande suffisance, et croyait au moins égaler Ximénès en capacité, ne voulut pas paraître rien faire de son propre chef, et mit son oncle don Baltazar de Zuniga, qui avait été gouverneur du roi, à la tête des affaires étrangères. Ce seigneur était tout différent de son neveu ; il avait réellement la capacité que l’autre se croyait, et la modestie qu’il affectait ». (Histoire universelle, tome XV de l’Histoire moderne, page 110.)