Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/411

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Je suis donc présentement gentilhomme ! dis-je en moi-même lorsque je fus dans la rue ; me voilà noble sans que j’en aie l’obligation à mes parents : je pourrai, quand il me plaira, me faire appeler don Gil Blas ; et si quelqu’un de ma connaissance s’avise de me rire au nez en me nommant ainsi, je lui ferai signifier mes lettres. Mais lisons-les, continuai-je en les tirant de ma poche ; voyons un peu de quelle façon on y décrasse le vilain. Je lus donc mes patentes, qui portaient en substance ; que le roi, pour reconnaître le zèle que j’avais fait paraître en plus d’une occasion pour son service et pour le bien de l’État, avait jugé à propos de me gratifier de lettres de noblesse. J’ose dire, à ma louange, qu’elles ne m’inspirèrent aucun orgueil. Ayant toujours devant les yeux la bassesse de mon origine, cet honneur m’humiliait au lieu de me donner de la vanité : aussi je me promis bien de renfermer mes patentes dans un tiroir, sans me vanter d’en être pourvu.


CHAPITRE VII

Gil Blas rencontre encore Fabrice par hasard. De la dernière conversation qu’ils eurent ensemble, et de l’avis important que Nunez donna à Santillane.


Le poète des Asturies, comme on a dû le remarquer me négligeait assez volontiers. De mon côté, mes occupations ne me permettaient guère de l’aller voir ; de sorte que je ne l’avais point revu depuis le jour de la dissertation sur l’Iphigénie d’Euripide. Le hasard me le fit encore rencontrer près de la porte du Soleil. Il sortait d’une imprimerie. Je l’abordai en lui disant : Ho ! ho ! monsieur Nunez, vous venez de chez un imprimeur : cela semble menacer le public d’un nouvel ouvrage de votre composition.