Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/86

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reprit-il, ou je suis fort trompé. Nous sortîmes en même temps tous deux pour aller chez le comte, qui occupait la maison de don Sanche d’Avila son ami, qui était alors à la campagne.

Nous trouvâmes dans la cour je ne sais combien de pages et de laquais qui portaient une livrée aussi riche que galante, et dans l’antichambre plusieurs écuyers, gentilshommes et autres officiers. Ils avaient tous des habits magnifiques, mais avec cela des faces si baroques, que je crus voir une troupe de singes vêtus à l’espagnole. Il faut avouer qu’il y a des mines d’hommes et de femmes pour qui l’art ne peut rien.

On annonça don Fabricio qui fut introduit un moment après dans la chambre, où je le suivis. Le comte en robe de chambre était assis sur un sopha, et prenait son chocolat. Nous le saluâmes avec toutes les démonstrations d’un profond respect ; il nous fit de son côté une inclination de tête, accompagnée de regards si gracieux, que je me sentis d’abord gagner l’âme. Effet admirable, et pourtant ordinaire, que fait sur nous l’accueil favorable des grands ! Il faut qu’ils nous reçoivent bien mal, quand ils nous déplaisent.

Ce seigneur, après avoir pris son chocolat, s’amusa quelque temps à badiner avec un gros singe qu’il avait auprès de lui, et qu’il appelait Cupidon. Je ne sais pourquoi on avait donné le nom de ce dieu à cet animal, si ce n’est à cause qu’il en avait toute la malice ; car il ne lui ressemblait nullement d’ailleurs. Il ne laissait pas, tel qu’il était, de faire les délices de son maître, qui était si charmé de ses gentillesses, qu’il le tenait sans cesse dans ses bras. Nunez et moi, quoique peu divertis des gambades du singe, nous fîmes semblant d’en être enchantés. Cela plut fort au Sicilien, qui suspendit le plaisir qu’il prenait à ce passe-temps, pour me dire : Mon ami, il ne tiendra qu’à vous d’être un de mes secrétaires. Si le parti vous convient, je vous donnerai deux cents pistoles tous les ans. Il suffit que don Fabri-