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les bastonnais

Pas une âme dans les rues ; aucun signe de vie dans les entrepôts qui apparaissaient comme d’immenses cubes noirs, avec leurs barricades de portes et de fenêtres revêtues de tôle de fer.


En vingt mi­nutes, le jeune offi­cier eut atteint le fleu­ve au point où se trouve aujour­d’hui le quai du Grand-Tronc. À ses pieds, il dis­tingua un ca­not muni de ses deux rames. Sans un instant d’hésitation, il y prit place, détacha la chaîne qui le tenait amarré au rivage, mit les avirons dans leurs tollets, et, d’un vigoureux coup donné d’une main expérimentée, tourna l’avant de la chaloupe vers la rive Sud.

En même temps, il éleva ses regards vers la ville. Elle était là, au-dessus de lui, silencieuse et inconsciente du danger qu’elle courait. Le rocher gigantesque du Cap Diamant s’élevait là haut comme une tour, semblant s’enorgueillir de sa force et se moquer des appréhensions du jeune officier. Celui-ci dirigea le canot sous la poupe de la corvette de guerre. Une seule lampe était suspendue à l’avant, mais aucune vigie ne le héla au passage.

« Le Jockey est évidemment un mythe pour tous ces gens-là », murmura-t-il ; « mais ils reconnaîtront bientôt qu’il est une terrible réalité, et c’est Roddy Hardinge qui le leur apprendra ».

Le Saint-Laurent n’est pas aussi large au-dessus de Québec qu’il ne l’est généralement sur son parcours, et en un quart d’heure, le rameur eut atteint la rive opposée. Au moment où la quille de la chaloupe gratta le sable de la berge, un homme s’avança à sa ren-