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les bastonnais

avec un commencement d’impatience. La position devenait embarrassante, quand un homme de haute stature apparut à l’entrée opposée du pont, et d’un mot bref de commandement fit retirer les soldats. Zulma regarda devant elle et sa physionomie refléta une expression mêlée de surprise et de plaisir. Le nouveau venu s’avança à côté de la voiture, toucha son chapeau et salua respectueusement la belle voyageuse.

Veuillez excuser mes hommes, Mademoiselle, dit-il en bon français. Je vois qu’ils vous ont retenue ; mais nous faisons des patrouilles dans les routes et leurs ordres sont stricts. Vous désirez continuer votre route du côté de la campagne ?

— S’il vous plaît, Monsieur.

— Avec cet homme ?

— Oui ; ce n’est pas un soldat, mais un domestique de ma famille. Nous sommes entrés dans Québec ce matin avant l’investissement et il est absolument nécessaire que je rentre chez moi ce soir.

Le ton de Zulma n’était pas celui d’une suppliante. Ses manières montraient que, de même que les commandements des soldats ne l’avaient pas intimidée, elle n’avait pas davantage de faveur à demander à l’officier. Celui-ci, sans doute, comprit tout cela d’un coup d’œil et il ne parut pas en concevoir de déplaisir, car au lieu de donner la permission de partir, il sembla hésiter et balancer, comme désireux de prolonger l’entrevue. Finalement, il réussit à renouer la conversation en demandant à Zulma si elle ne craignait pas de poursuivre son voyage à cette heure tardive, lui offrant de lui fournir une escorte, si elle le désirait. Elle répondit en riant que l’escorte elle-même serait probablement le plus grand danger qu’elle rencontrerait sur sa route.

— Alors, je vous escorterai moi-même, dit le jeune officier avec un profond salut.

Zulma le remercia, l’assurant en même temps qu’elle n’avait pas besoin de protection et qu’elle ne prévoyait aucun embarras. Elle appela alors son domestique à son siège auprès d’elle et elle était sur le point de donner au cheval le signal du départ, quand on entendit, dans la direction de la ville, la détonation d’une arme à feu. La jeune fille et l’officier se regardèrent.

— Un coup égaré, dit celui-ci, après avoir écouté un moment. Ce n’est rien. Vous n’avez pas peur, Mademoiselle ?

— Veuillez m’excuser, Monsieur, répondit Zulma, mais c’est le second coup de feu que j’entends aujourd’hui. Celui-ci peut n’avoir aucune importance, mais le premier était terrible, et je ne l’oublierai jamais.