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les bastonnais

L’officier regarda Zulma, mais ne dit rien.

— Est-il possible que vous ne vous le rappeliez pas, vous aussi ?

— Nous y sommes accoutumés, Mademoiselle, ce…

— Celui qui a tiré ce coup de fusil est un misérable et celui auquel cette balle était destinée, s’écria Zulma se redressant et fixant ses yeux brillants sur l’officier, est un héros.

Bon soir, Monsieur.

Et, comme s’il eût été animé de l’ardeur avec laquelle sa maîtresse prononça ces paroles, le cheval fit un bond en avant et le traîneau s’engouffra dans le sombre tunnel du pont.

VIII
cary singleton.

C’était Cary Singleton. Il resta un instant immobile, regardant dans la direction du pont, puis il s’éloigna lentement, plongé dans la réflexion. Les paroles de la belle Canadienne l’avaient jeté dans la perplexité et il cherchait à en découvrir le sens. Quel était ce coup de feu auquel elle avait fait allusion ? Quel était l’heureux mortel qu’elle avait proclamé un héros ? À la fin, la pensée lui vint que, peut-être, la jeune fille avait été témoin de la scène de l’après-midi sous les murs de Québec. Il était bien probable, en effet, qu’elle avait été parmi les centaines de spectateurs qui encombraient les remparts au moment où le pavillon parlementaire s’avançait vers la porte de la ville. En ce cas, elle pouvait bien faire allusion au coup de feu déloyal tiré sur le pavillon, et si tel était le sens de ses paroles, son héros devait être le porteur de ce pavillon. Mais cela était presque trop beau pour être vrai. La jeune fille était sans doute une loyaliste, et pour s’exprimer comme elle l’avait fait, si elle avait l’intention qu’il lui prêtait, il aurait fallu, ou qu’elle fût rebelle au fond du cœur, ou qu’elle fût mue par des principes d’humanité plus élevés qu’il n’avait le droit d’en attendre dans ce temps de guerre plein d’excitation et de démoralisation. Et puis, était-il possible qu’elle l’eût reconnu ? Car celui qui avait porté ce malencontreux pavillon n’était autre que lui-même.

Cette dernière question fournit un nouvel aliment à son émotion et il s’arrêta court sur le sommet de la colline pour se donner du nerf et prendre une soudaine résolution.

Une seconde analyse rapide le convainquit qu’en effet, il avait été reconnu par l’aimable étrangère. Toute son attitude, son regard