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animé, sa joue enflammée, son geste agité et ses derniers mots passionnés, toutes ces choses qui se retraçaient vivement à sa mémoire semblaient tendre à cette conclusion.

Oui, elle se souvenait de lui, elle l’avait reconnu et, dans un moment d’enthousiasme indiscret, elle avait exprimé l’admiration qu’il lui avait inspirée. Être admiré par une telle femme ! Il venait d’un pays renommé pour la beauté de ses femmes autant que pour le caractère chevaleresque des hommes, mais jamais encore ses yeux n’avaient été gratifiés de la vue d’une perfection si transcendante. Tous les traits exquis de cette figure d’une rare perfection se retraçaient vivement à son esprit : les grands yeux bleus, le grand front large, le pli séducteur de ses lèvres, le port magnifique de la tête et, par-dessus tout, la beauté de sa taille de reine.

Cary Singleton était transporté. Il se reprochait amèrement d’avoir agi en fou. Pourquoi n’avait-il pas compris tout cela dix minutes plus tôt, comme il les comprenait maintenant ! Mais il allait réparer sa sottise. Il allait courir au camp, à quelque distance du bois qui longeait la route ; il s’y procurerait un cheval et partirait au galop, à la poursuite de la belle jeune fille. Il apprendrait son nom ; il découvrirait sa demeure, et alors… alors…

Mais une sonnerie de clairon interrompit sa rêverie et brisa sa résolution. C’était un appel au quartier-général pour un service spécial. Il leva les yeux et vit de gros nuages sombres rouler dans la vallée. Hélas ! le jour était bien fini et il était trop tard. Il se rendit tristement au camp, en déplorant l’occasion perdue et en faisant toute espèce de projet pour la retrouver.

Tout en se tournant et en se retournant sur sa froide botte de paille, cette nuit-là, ses rêves le reportaient dans la gorge solitaire, au pont couvert, devant l’apparition féerique et quand il