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les bastonnais

IX
le chant du violon.

Il était minuit et tout était tranquille dans la cabane solitaire de Batoche. La petite Blanche était profondément endormie dans son banc-lit, et Velours, roulé en cercle, dormait sur la pierre de l’âtre. Le feu, bas, jetait par instants une faible lueur à travers la chambre. L’ermite occupait son siège habituel, la chaise de cuir, au coin de la cheminée. Avait-il fait un somme, ou était-il resté plongé dans la rêverie ? il aurait été difficile de le dire ; mais il se leva d’un mouvement lent et c’est, pour ainsi dire à pas dérobés, qu’il se dirigea vers la porte qu’il ouvrit pour plonger son regard dans la nuit. Revenant ensuite, il mit une grosse bûche sur le feu qu’il attisa du bout du pied. La flamme s’éleva et éclaira la moitié de la chambre. Il alla alors à l’alcôve et y prit son violon. Après avoir raclé sur les cordes pour s’assurer de leur accord, il posa le talon de l’instrument dans le creux de l’épaule et exécuta un prélude rapide. Le vieillard sourit, comme satisfait de l’adresse de ses doigts, et ce n’était pas sans raison, car le doigté révélait un artiste.

— Que vas-tu me chanter, ce soir ? dit Batoche avec un regard de tendresse à son vieil instrument ?

La voix des chutes a eu d’étranges roulements de tonnerre, toute la journée, et j’éprouve de singulières sensations ce soir. Je ne sais pas ce qui se passe, mais peut-être me le diras-tu.

À ces mots, il remit son violon à l’épaule et commença à jouer. D’abord, ce furent des notes lentes et larges tirées à grands coups d’archet, puis une succession de notes rapides jaillissant les unes sur les autres. Le changement était naturel et agréable, mais en s’échauffant, le vieux musicien s’abandonna à une vraie débauche musicale.

Tour à tour le violon semblait faire entendre le mugissement de la tempête, le murmure de la brise, le clapotement des gouttes de pluie ou le monotone ruissellement de l’eau. Puis la main gauche demeurait immobile sur le manche et des cordes sortait un grand unisson qu’on eût pu prendre pour un solennel avertissement. Ensuite, les doigts recommençaient à voltiger sur les cordes dont les vibrations faisaient entendre des sons courts et aigus comme des cris d’enfants pétulants. Alors, de ravissantes mélodies s’élevaient et s’entremêlaient comme les fleurs d’un bouquet, pro-