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les bastonnais

Le vieux soldat avait écrit aussitôt pour la dissuader de ce projet, lui donnant pour raison caractéristique, qu’il ne voulait pas qu’elle devînt la servante des Anglais abhorrés, mais avant que la lettre fût arrivée en France, la jeune fille était débarquée à Québec et c’est ainsi que le cours de la destinée de Batoche avait été changé. La jeune fille était aimable, intelligente et jolie et elle reçut aussitôt d’avantageuses offres de places dans plusieurs des meilleures familles de la capitale, mais le vieillard ne voulut écouter aucune proposition de ce genre.

— Viens avec moi dans les bois, lui dit-il, nous y vivrons heureusement ensemble. Je ne veux pas qu’un Anglais jette les yeux sur toi. Je suis encore capable de travailler. Tu m’aideras ; nous ne manquerons de rien.

Et il la prit dans son habitation solitaire auprès des chutes de Montmorency où, en effet, tous deux passèrent une existence tranquille et aisée. Au bout de trois ans, le fils d’un fermier de Charlesbourg devint amoureux de la jeune fille et malgré son amour paternel, Batoche consentit à ce mariage. Ce fut un rude coup pour lui lorsque la nouvelle épousée sortit de sa cabane pour aller résider chez son mari, à environ douze milles de là, mais il fit généreusement son sacrifice et quand, dix ou onze mois plus tard, il lui naquit une petite fille, Batoche sentit qu’il avait reçu une compensation suffisante pour la perte qu’il avait faite.

« La petite Blanche vivra avec moi, dit-il, et remplacera sa mère ».

Il ne savait pas combien était tristement vraie la prophétie qu’il faisait là.

XI
LA MORT DANS LES CHUTES.

C’était une belle soirée d’été. La jeune mère maintenant rétablie, voulut que sa première visite fût à la cabane de son vieux père, et il va sans dire qu’elle prit avec elle son bébé. Après s’être reposée quelque temps et avoir reçu les marques du profond amour paternel de l’ermite, elle se mit à errer, en portant son enfant dans ses bras, dans les environs qui lui étaient si familiers, pour jouir encore une fois de tous les charmes de son ancienne demeure. C’était une belle soirée d’été. La forêt était pleine de parfums. Mille oiseaux sautaient de branche en branche, le sol était émaillé d’une variété innombrable de fleurs sauvages ; de brillants insectes bourdonnaient en jetant des reflets d’or dans les