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les bastonnais

petits orphelins, mais elle était un modèle des femmes de sa condition, ennemie des cancans et si dévouée à ses bienfaiteurs qu’elle n’aurait rien répété qui eût pu satisfaire la vulgaire curiosité des gens du dehors.

Les fermiers et les villageois de la Pointe-aux-Trembles étaient si occupés à fournir la nourriture et le logement à l’armée, ou si empêchés de circuler par la vue des patrouilles, le long des routes, que presqu’aucun d’entre eux ne vint au manoir durant toute la période d’occupation.

La quinzaine se passa ainsi. Elle leur parut beaucoup trop courte. Les aurores se levaient et les crépuscules tombaient avec une désespérante régularité, sans aucun égard pour les calculs du cœur ; mais quand on fit la récapitulation, on trouva que l’on avait parcouru une énorme distance et que les vagues impressions des premières entrevues s’étaient métamorphosées en un ardent foyer qui illuminait et embrasait deux jeunes cœurs.

XVIII
la coiffure de sainte catherine.

Il est un incident de cette période si pleine d’événements, qui ne doit pas être passé sous silence. Le lecteur sera juge de son importance. C’était le 25 novembre, jour de la Sainte-Catherine. En Italie et dans le sud de l’Europe, la vierge martyre est vénérée comme patronne des étudiants en philosophie et les collèges célèbrent sa fête par des débats publics sur des sujets de logique et de métaphysique. Mais en Belgique et en France, c’est un jour de réjouissance pour la jeunesse, et au Canada, dès les débuts de la colonie, probablement parce que cette date marque la clôture de la navigation du Saint-Laurent et le commencement du long et rigoureux hiver, cette fête est célébrée par des chants, des danses, des jeux et d’autres réjouissances. Un des traits particuliers de la Sainte-Catherine est que les jeunes filles font de la tire dans la soirée et en régalent leurs amis et leurs amoureux.

La journée avait été assez triste. La neige tombant continuellement couvrait déjà les chemins à plus d’un pied de profondeur. Le vent sifflait lamentablement autour des pignons et les branches des érables battaient en triste cadence contre les fenêtres de la chambre de Zulma. Elle ressentait l’influence de cette inclémente température. Une sensation de fatigue pesait sur elle depuis les premières heures de la journée. Rien de tout ce qu’elle essayait de faire ne