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pouvait distraire son esprit ou dissiper le sentiment de solitude qui l’accablait. Le livre dont elle avait commencé la lecture à maintes reprises gisait retourné sur la table. Le clavecin était ouvert, mais la musique étalée sur son pupitre était mêlée et en désordre. Zulma était bonne musicienne et passionnément éprise de son instrument, mais elle ne pouvait en jouer quand son esprit était abattu. Elle avait coutume de dire, que même dans ses plus joyeux moments, la plus simple mélodie avait pour elle une teinte de mélancolie qui devenait une véritable tristesse, quand elle-même était mélancolique.

Elle ne quitta guère sa chambre de toute la journée. La maison silencieuse ne pouvait lui procurer aucune distraction.

Aucun mouvement dans les cours ou autour de la cuisine. Le grand chien de garde, lui-même, s’était retiré dans sa niche pour dormir. La neige tombait sans bruit étendant un rideau sur le monde extérieur. Le ciel était bas et semblait de plomb. Rien ne venait rompre le calme oppressif de l’atmosphère, sauf de temps en temps, une bouffée de vent mugissant sourdement dans les vallées.

Si Zulma avait pu dormir ! Plus d’une fois, elle se jeta, accablée de lassitude, sur sa couche, mais ses paupières qu’elle aurait voulu fermer restaient rigidement ouvertes et elle se surprit regardant fixement les arabesques des stores ou les dessins fleuris des rideaux de son lit, tandis que toutes sortes d’images extravagantes et incongrues traversaient son cerveau, lui donnant mal à la tête. Alors, elle se levait avec impatience, étendait les bras, joignait les mains derrière son cou, enroulait la masse de cheveux d’or qui était tombée sur ses épaules, puis allait à la fenêtre d’où ses regards distraits s’étendaient sur le sombre paysage.

« Si seulement il venait, » murmura-telle, mais c’est impossible. On ne peut aller à cheval à travers une telle neige ; sans cela, je serais sortie moi-même.

Enfin, le long après-midi s’était écoulé. Cinq heures sonnèrent à la vieille horloge française placée à la tête de l’escalier. Zulma avait à peine fini de compter les coups du timbre avec une sensation de soulagement, que le tintement de sonnettes de traîneau frappa ses oreilles. Elle se précipita à la fenêtre, jeta un coup d’œil dans la cour, poussa une exclamation de joie et sortit de la chambre en courant.

« Non, c’est impossible ! ma chérie, et par un temps pareil ! »

Et pourtant, c’était bien Pauline. Les deux amies tombèrent dans les bras l’une de l’autre s’embrassèrent avec effusion et se reti-