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rèrent dans la chambre de Zulma, où, pendant que la nouvelle arrivée se dépouillait de sa pelisse, se chauffait les pieds et prenait un verre de vin, les félicitations et les questions se mirent à pleuvoir. Pauline était venue avec Eugène Sarpy, comme on put le voir du reste par la manière bruyante avec laquelle le jeune homme entra à la maison après avoir mis le cheval à l’écurie. C’était congé au séminaire et il en avait pris occasion d’aller faire encore un tour à la maison paternelle. Il avait invité Pauline à l’accompagner et elle avait été très heureuse d’avoir l’occasion de revoir Zulma.

« C’est peut-être notre dernière entrevue, vous savez ? dit-elle d’un ton moitié riant, mais avec une légère ombre répandue sur sa douce figure.

— Et ces horribles rebelles, reprit gaiement Zulma, comment avez-vous pu vous résoudre à les rencontrer ?

— Mais nous ne les avons pas rencontrés.

La figure de Zulma devint subitement pâle.

— Quoi ! Sont-ils partis ?

Et la crainte lui traversa l’esprit que peut-être les Américains avaient quitté le voisinage, ce qui expliquerait l’absence de Cary durant le jour ; mais elle fut rassurée par Pauline qui l’informa qu’Eugène avait évité le camp américain en prenant un chemin détourné à travers les concessions.

— Cela doit avoir augmenté la distance ?

— De quatre lieues au moins ; mais je ne m’en inquiétai guère, pourvu que nous fussions hors de danger.

— Vous n’aimez pas ces soldats ?

— Je les déteste tous, excepté un, peut-être.

Zulma, surprise, leva les yeux.

— Et quel peut être celui-là, s’il vous plaît ?

— Ne vous rappelez-vous pas le porteur du pavillon ?

— Oh !…

Ce fut la seule exclamation poussée par Zulma, mais un flot de sang lui empourpra soudain la figure.

— Roderick m’a parlé de lui dans les termes de la plus grande admiration, continua Pauline avec calme.

— Il sera sans doute flatté de l’apprendre, dit Zulma, avec un accent de sarcasme. Mais ceci fut perdu pour la douce et simple Pauline et Zulma regrettant son observation reprit aussitôt :

— Si vous l’aviez rencontré dans votre trajet, il vous aurait traitée avec bonté, vous pouvez en être sûre ; et elle se mit à lui raconter l’incident du pont couvert. Un détail en amena un autre et les