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les bastonnais

Après la présentation de règle. Cary s’excusa d’arriver si tard.

« Mieux vaut tard que jamais, » s’écria Zulma avec une indiscrétion impétueuse qu’elle essaya d’atténuer par un éclat de rire, tandis que le mouvement rapide de ses grands yeux bleus montraient qu’elle avait honte de ce mouvement trop impulsif.

Singleton s’inclina profondément, mais le sourire ne vint pas effleurer ses lèvres, en réponse à ce cordial accueil.

«  Je vous remercie Mademoiselle, dit-il, mais peu s’en est fallu que je ne revinsse jamais ici, peut-être.

Il y eut une expression générale de surprise.

Le jeune officier expliqua que l’armée américaine était sur le point de faire une marche en avant et qu’il avait reçu ordre cet après-midi d’abandonner ses quartiers.

«  L’ordre était formel, ajouta-t-il, et il m’aurait fallu m’y soumettre sans délai, mais heureusement la tempête de neige devint si violente vers le soir, que notre départ a été remis à demain matin. J’ai regardé cette circonstance comme providentielle et j’ai saisi occasion de faire cette visite qui est peut-être la dernière.

Les yeux de Zulma s’assombrirent et elle baissa la tête. Son père rompit le silence embarrassant en disant gaiement :

«  J’espère que cette visite n’est pas la dernière que vous nous ferez, monsieur. Je suis certain au contraire que nous nous rencontrerons encore. Si dans les vicissitudes de la guerre, vous aviez besoin de mon assistance, réclamez-la seulement, et vous l’aurez à l’instant. »

Zulma leva les yeux. Son regard était empreint d’une si grande tendresse que Cary dut comprendre qu’elle aussi volerait à son secours s’il en avait besoin.

Pendant cette conversation, Pauline était assise un peu en arrière. Elle ne dit pas un mot, mais ses yeux étaient pleins de larmes. Cary, en regardant autour de lui pour éloigner de son esprit les tristes pensées du moment, remarqua son émotion et en fut étrangement touché.

Il savait bien qui elle était, car Zulma lui avait souvent parlé d’elle, lui expliquant la situation embarrassante que la guerre avait faite à son amie et à sa famille et les rapports qui existaient entre elle et Roderick Harding. Ces marques silencieuses de sympathie de la part d’une des personnes assiégées dans Québec, d’une personne tendrement attachée à un des principaux officiers anglais, l’émurent profondément, et, dès ce moment, il s’efforça de faire plus ample connaissance avec Pauline.

Ses manières et ses paroles montrèrent combien il était impres-