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les bastonnais

porter les armes. Ceux qui refusèrent reçurent l’ordre de sortir des murs. Il n’y avait probablement pas cent familles anglaises dans la ville. La langue anglaise était parlée par les militaires seulement. Les temps étaient durs. Les provisions étaient tout d’abord abondantes, mais le bois de chauffage était rare. Heureusement, l’hiver, en somme, fut doux. Les maisons, durant le jour, étaient partiellement désertes. Les hommes étaient de garde ; les femmes étaient sur la rue à babiller, et elles trouvaient beaucoup de sujets de conversations, car l’air était plein de rumeurs. Une ville assiégée devient, par la force des choses, un nid de cancans, de caquets et de commérages.

Les soldats de l’armée régulière étaient élégants dans l’uniforme de leurs régiments. La milice portait les accoutrements qu’on avait pu lui procurer — un habit gris, d’étoffe du pays avec ceinture rouge, des bottes de peau de vache et la traditionnelle tuque bleue. Les trappeurs ne pouvant pénétrer dans la ville, les fourrures étaient rares et les femmes des classes inférieures étaient forcées de s’en passer complètement. Les centres d’attraction étaient les corps de garde et les guérites des sentinelles. Là se racontaient les épisodes du siège ; là se produisaient toutes espèces d’incidents sérieux ou comiques qui rompaient la monotonie des longs mois d’hiver. Les principales casernes étaient sur la place de la Cathédrale, dans ce vénérable collège des Jésuites démoli, il y a quelques années seulement. Les trois postes les plus importants étaient les portes Saint-Louis, Saint-Jean et du Palais. C’étaient là les trois portes françaises primitives, améliorées et fortifiées par le grand ingénieur de Léry.

C’est par ces portes que, un an plus tard, l’armée de Murray vaincue, rentra en déroute, du désastreux champ de bataille de Sainte-Foye. Sans ces puissantes fortifications construites par les Français, l’armée française victorieuse sous Lévis aurait pu reprendre Québec dans ce jour mémorable et rétablir de nouveau la Nouvelle-France. Amère ironie du destin ! Le long de l’avenue où fut construite plus tard la porte Prescott, des palissades avaient été élevées par James Thompson, surintendant des travaux, pour empêcher les Américains de s’avancer de ce côté, et son nom, comme nous le verrons plus tard, fut intimement mêlé aux événements du siège. Tous ces travaux de défense étaient érigés à la haute ville, c’est-à-dire dans la partie de la ville entourée de murailles. À la basse-ville et sous le Cap, l’extrémité à l’est était défendue par des batteries dans la ruelle au Chien ou au petit sault-au-Matelot, et l’extrémité ouest, à Près-de-Ville, par une batterie