Page:Lespérance - Les Bastonnais, 1896.djvu/146

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
144
les bastonnais

La garnison faisait de fréquentes sorties partielles pour se procurer du bois de chauffage ; mais ces expéditions n’étaient pas toujours fructueuses. Des escouades creusaient des tranchées dans la neige, en dehors des murs, soit pour se donner de l’exercice, soit par bravade. Les sentinelles postées aux points les plus exposés à la bise d’hiver étaient parfois attaquées par la gelée. Une espèce de guérite de sentinelle avait été juchée sur un mat de trente pieds de haut, au Cap Diamant. De ce point, on pouvait apercevoir le clocher recouvert de ferblanc de l’église de Sainte-Foye, mais non les plaines d’Abraham, au delà de la colline derrière laquelle les assiégeants se tenaient massés. Le drapeau rouge flottait au-dessus du camp américain. Quelques-uns pensaient que ce pavillon couleur de sang était ainsi arboré en signe de menace ; mais ce n’était qu’un signal aux prisonniers détenus dans la ville.

Environ cent hommes avaient été choisis parmi les invalides pour garder ces prisonniers. Il en était quelques-uns, dans les rangs de cette compagnie, « qui n’avaient pas réalisé auparavant l’odieux de leur conduite », comme le dit une vieille chronique. Pendant les nuits les plus obscures, on lançait des fusées, ou l’on allumait de grands feux sur les remparts et les endroits élevés, pour confondre les signaux de l’ennemi. Une généreuse rivalité existait entre les miliciens canadiens-français et les soldats anglais de l’armée régulière. Les premiers étaient énergiquement encouragés par les prêtres qui circulaient familièrement parmi eux, dans leurs longues soutanes noires. Le séminaire, sur la place de la Cathédrale, où résidait l’évêque, était aussi fréquenté par les militaires que les quartiers généraux de MacLean, aux casernes des Jésuites, de l’autre côté de la place. Monseigneur Briand était autant le défenseur de Québec, que le général Carleton. Les plus singuliers signaux des Américains étaient des globes de feu qui brûlaient de une heure à trois heures du matin. Chaque fois que l’on voyait ces signaux, la garnison se préparait plus activement à repousser une attaque.

En dépit des précautions prises des deux côtés, assiégeants et assiégés entretenaient entre eux de fréquentes communications. Un homme ardent, vif et hardi pouvait toujours entrer dans la ville ou en sortir du côté de la rivière sous le Cap, ou le long de la vallée de la rivière Saint-Charles. L’armée continentale n’était pas assez nombreuse pour rendre le blocus complet et la garnison ne comptait pas assez de soldats pour garder toutes les obscures issues ; mais malgré cela, durant huit longs mois — de novembre 1775 jusqu’à mai 1776 — Québec fut virtuellement séparé du reste