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les bastonnais

pays, à l’Île-aux-Noix, à Chambly, à Longueuil, à Saint-Jean. Il s’est enfui de Montréal sans tenter aucune résistance. Tous ses hommes se sont rendus, à cette ville et à Sorel ; tous ses bateaux ont été pris ; toutes ses provisions saisies. Et savez-vous comment il s’est échappé ?

— Dans un canot, m’a-t-on dit.

— Oui, dans un canot. Il est passé à Sorel où les Américains le guettaient ; mais les avirons étaient assourdis et les tollets rembourrés de manière à éviter tout bruit. Dans les endroits les plus dangereux, on prit même la précaution de ne ramer qu’avec les mains.

Zulma écoutait attentivement tous ces détails qu’elle ignorait jusque-là. M. Sarpy se contenta de dire :

— Étonnant !

— Et savez-vous qui l’a piloté ?

— Le capitaine Bouchette, je crois.

— Oui, Joseph Bouchette. Et qui est-ce Joseph Bouchette ?

— Un Canadien français ! s’écria Zulma incapable de se contenir.

— Oui, Mademoiselle, un Canadien français !

Sans ce Joseph Bouchette, un Canadien français, Carleton n’aurait jamais atteint Québec et la guerre serait aujourd’hui terminée.

— Vous voulez dire par là que les Américains seraient en possession de Québec, la seule place de tout le Canada qui ne leur appartienne pas déjà, dit M. Sarpy avec une grande énergie.

— Précisément. Eh bien, c’est à propos de ce Joseph Bouchette, que je suis venu vous voir.

Zulma et son père tressaillirent involontairement.

Batoche continua :

— Bouchette a commis un grand crime. Il a été coupable de trahison à ses concitoyens : il faut qu’il meure. Il y en a des centaines qui pensent comme moi, mais ils ont peur de frapper. Je n’ai pas peur. Il recevra son châtiment de ma main. La seule question est le mode de punition. Le meurtre me répugne ; d’ailleurs, ce ne serait pas poli. Cet homme était peut-être sincère dans son dévouement envers Carleton, quoique, dans mon opinion, la récompense ait été sa principale considération. Mais s’il était sincère, cela doit lui être compté en palliation de sa sentence. D’ailleurs, c’est un ami de M. Belmont, et cela aussi comptera en sa faveur. J’ai l’intention de me saisir de lui et de le livrer aux Bastonnais comme prisonnier de guerre.

M. Sarpy fit un geste solennel de supplication.