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les bastonnais

bonté. Excusez-moi de vous agacer ainsi, Pauline. Ce n’était qu’une petite plaisanterie. Je partage complètement votre estime pour ce jeune officier américain. Lui et moi devrions être amis et non ennemis.

— Et vous serez amis un jour, dit Pauline d’un ton de conviction.

— Hélas !

Une pause s’ensuivit durant laquelle des pensées désespérantes traversèrent comme un éclair l’esprit de Roderick Hardinge. Toutes les horreurs de la guerre se présentèrent en masse à son imagination et il ressentit vivement les terribles incertitudes de la bataille. Jamais, jusque-là, il n’avait ressenti si péniblement sa position.

Ce rebelle était aussi bon que lui, peut-être meilleur. Ils auraient pu se rencontrer et jouir ensemble de l’existence.

À présent, leur devoir était de se porter réciproquement la mort ou de s’infliger l’un à l’autre la plus grande perte possible. Des pertes ! Et que serait-ce si l’une d’elles était celle de l’aimable personne assise à son côté ? Ce serait, en vérité la plus grande de toutes les pertes.

Mais non, il ne voulait pas seulement en entretenir la pensée. Il secoua la tête et aspira l’air froid à pleins poumons.

Tout à coup, il sentit sur son bras la petite main de Pauline. Ce léger contact fit passer un frisson dans tout son être.

« Regardez, Roddy, » dit-elle en montrant la plaine.

XI
cavalier et amazone.

Voici ce qu’ils virent tous deux :

Une vingtaine d’hommes, soldats du corps de Morgan, se tenaient en groupes sur la limite extrême de la plaine. À un signal donné, un cavalier sortit du milieu d’eux, au trot de son cheval. L’animal était presque entièrement blanc, avec une tête petite et bien proportionnée, de petits sabots bien nets, de longues hanches, une abondante crinière et une queue balayant le sol.

Tous ses membres étaient un indice de la rapidité de sa course, tandis que ses oreilles droites, son œil brillant et mobile et ses narines roses dénotaient l’intelligence et l’ardeur. Le cavalier était vêtu de l’uniforme complet du carabinier — habit et culotte vert-gazon, garnis de fourrure noire à travers laquelle courait un liseré d’or ; ceinture rouge à laquelle était attachée une corne blanche, à poudre ; chapeau noir, de hauteur moyenne, à forme de turban et surmonté d’une touffe de plumes de couleur sombre et courtes,