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les bastonnais

— Encore quelqu’un de vos vieux tours de devin, sans doute, dit-elle en riant.

Et pourquoi, s’il vous plaît, tarderais-je plus longtemps ?

Batoche répondit à son ardent regard par un coup d’œil d’intelligence, et en indiquant des yeux un petit bouquet d’arbres à environ un quart de mille à droite :

— Je lui ai remis votre lettre. Mademoiselle, dit-il. Il en a été profondément ému. Il a déclaré qu’il la garderait toute sa vie, comme un trésor. Peut-être vous a-t-il déjà répondu.

Zulma secoua lentement la tête, mais sans l’interrompre :

— Il est là, Mademoiselle, avec sa compagnie. Peut-être, dans quelques jours, recevra-t-il l’ordre de se porter en avant. S’il apprenait que vous êtes venue si près et qu’il ne vous a pas vue, il en serait profondément peiné. S’il vous savait ici, il monterait aussitôt à cheval pour venir vous rencontrer.

Zulma gardait encore le silence, mais elle ne pouvait cacher l’émotion que produisaient en elle ces paroles.

— Mademoiselle, continua Batoche, voulez-vous avancer un peu avec moi, ou bien vais-je aller lui dire que vous êtes ici ?

— Je me remets entre vos mains, dit Zulma à voix basse, en se penchant vers le vieux soldat.

Batoche lui lança un dernier regard, qui parut le décider. Il partit aussitôt dans la direction du camp et dix minutes ne s’étaient pas écoulées, que Cary Singleton accourait en toute hâte à la rencontre de la jeune fille. Il lui persuada de demeurer quelques heures en compagnie des officiers ses camarades et c’est en son honneur qu’il exécuta les exercices équestres que nous avons décrits dans le chapitre précédent. C’est ainsi que tous deux, sans s’y attendre, avaient été aperçus par Pauline et Harding.

XIII
le palais de l’intendant.

Le 5 décembre, toute l’armée américaine s’avança sur Québec. Montgomery, arrivé de Montréal avec son armée victorieuse, rejoignit Arnold à la Pointe-aux-Trembles et prit le commandement de l’expédition. Enflammé par le succès qui avait mis tout le Canada à ses pieds, dans une campagne de trois mois à peine, le jeune héros s’avançait contre le dernier rempart de la puissance britannique, déterminé à l’emporter ou à mourir. Ses troupes partageaient son enthousiasme. Le découragement de la quinzaine précédente s’était évanoui et avait fait place à une ardeur à l’épreuve des