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Cela lui procura l’occasion de faire beaucoup de questions auxquelles Blanche répondit de la manière la plus intelligente. En un mot, l’enfant donna des preuves d’un esprit remarquablement ouvert. Une sagesse bien au-dessus de son âge se manifestait en elle. Elle différait, en quelque sorte de la précocité ordinaire en ce que le cercle des connaissances de la petite fille était assez rétréci et que ses paroles étaient empreintes d’une simplicité suffisante pour éliminer ce sentiment de souffrance et d’anxiété que nous ressentons toujours en présence d’enfants développés d’une manière anormale. Zulma la fit parler sur son grand père et apprit ainsi de curieux détails concernant un caractère qu’elle admirait grandement malgré le mystérieux dont il était recouvert comme d’un sceau. Les révélations inconscientes de Blanche rendirent cette étrangeté plus profonde, plus piquante et plus intéressante encore. Elle parla aussi à l’enfant de sa marraine, Pauline, et ce fut pour elle un délice d’apprendre de ces lèvres véridiques combien son amie bien-aimée était plus aimable encore qu’elle ne l’avait pensé jusque-là. Zulma sentit que la peine qu’elle avait prise pour faire cette visite était amplement récompensée par la connaissance intime qu’elle avait ainsi acquise du caractère de Pauline et de celui de Batoche.

Elle entretint ensuite l’enfant de choses plus relevées. Elle lui parla de Dieu et de la religion. L’ignorante enfant de la forêt s’éleva à la hauteur du sujet. Il n’y avait dans son esprit ou dans ses paroles rien de conventionnel sur ces questions (et comment aurait-il pu en exister après l’enseignement original de Batoche ?) mais sa perception du sujet était claire comme le cristal. Ni vides, ni obscurité dans sa vision spirituelle. Il était évident qu’elle avait étudié la nature sans intermédiaire, que son âme s’était développée en un contact avec les vents et les fleurs, les arbres et les ruisseaux et tous les éléments dont Dieu a orné notre demeure terrestre.

Elle s’agenouilla devant les genoux de Zulma et récita toutes les prières qu’elle savait, les formules que le prêtre et Pauline lui avaient enseignées et les invocations qu’elle s’était habituée d’elle-même à redire dans la splendeur du matin, au milieu des ombres du soir, dans le silence des jours de paix, au bruit des mugissements de la tempête, ou chaque fois que quelque chagrin venait contrister son petit cœur, pendant qu’elle passait de l’enfance à l’adolescence. Le contraste entre les différents styles de ces prières fit sur Zulma une très forte impression. Les premières étaient telles qu’elle-même les savait : complètes, appropriées et pathétiques jusque dans leur phraséologie. Les dernières étaient morcelées, rudes et souvent incorrec-