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recouvra bientôt ses sens et ses forces sous l’action de stimulants, et les personnes présentes furent mises au courant des circonstances étranges qui les avaient ainsi réunies d’une manière inattendue. M. Belmont prit Batoche à part dans l’alcôve, où les deux hommes tinrent, à haute voix, une longue conversation dont la conclusion fut que tous deux étaient en danger imminent de perdre, l’un, la vie, l’autre, sa liberté. M. Belmont avait été averti, ce jour-là même, par les bons offices du capitaine Bouchette, qu’il devait cesser de recevoir Batoche dans sa maison. Celui-ci avait été filé dernièrement, pendant ses expéditions nocturnes. Les autorités avaient été informées de ses allées et venues et avaient donné des ordres stricts pour le prendre mort ou vif. L’homme qui était à sa piste était Donald, le serviteur de Roderick Hardinge, qui avait informé son maître de ses découvertes. Roderick, par délicatesse, n’avait pas soufflé un mot de l’affaire à M. Belmont, mais il avait chargé leur ami commun, Bouchette, de cette délicate mission. La demeure de M. Belmont devait être étroitement surveillée dorénavant, et si l’on y trouvait Batoche ou quelqu’un de ses compagnons, non seulement on les ferait prisonniers, mais M. Belmont lui-même serait arrêté et passerait en cour martiale. Cette menace était terrible ; mais ce n’était pas tout. M. Belmont avait reçu, ce jour-là, une lettre anonyme dans laquelle on l’avertissait qu’une sentence de bannissement était suspendue sur sa tête. Le colonel McLean, commandant des troupes régulières et le premier officier de la garnison après le gouverneur Carleton, avait inclus son nom dans la liste de ceux qui devaient être ainsi expulsés. M. Belmont avait des amis puissants dans le lieutenant-gouverneur Cramahé, le capitaine Bouchette et Roderick Hardinge, mais la force des circonstances pouvait rendre inutile leur intervention. Il ignorait ce qu’il y avait de vrai dans tout ceci ; mais, à mesure que le siège avançait, les esprits devenaient terriblement excités, dans la ville, et il lui était vraiment impossible de dire ce qui pouvait arriver. Quoi qu’il en fût, la lettre l’avait vivement alarmé et il s’était décidé, à tout risque, à venir consulter Batoche. Il avait eu l’intention de venir seul ; mais sa fille Pauline, devinant ses projets, n’avait pas voulu rester en arrière. Elle avait déclaré qu’elle suivrait son père à travers toutes les péripéties des événements. Tous deux avaient réussi à s’évader de la ville par la plus heureuse combinaison de circonstances. Maintenant qu’il était sorti des murs, il irait plus loin qu’il ne l’avait entendu tout d’abord. Il demandait l’opinion de Batoche sur son projet de se tenir éloigné de la ville, devançant ainsi le bannissement.