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les bastonnais

Dans le coffret que son ami avait caché pour lui, il y avait, en espèces, des valeurs assez considérables pour répondre à ses desseins et couvrir entièrement toutes ses dépenses pendant plusieurs mois. Jusqu’ici, il avait lutté péniblement contre sa destinée et contre ses sentiments, par égard pour sa fille. Maintenant qu’il était forcé d’agir, il reprendrait sa liberté, et il espérait que Pauline se ferait au changement de situation. Il n’était pas trop vieux et il avait assez de force corporelle pour mettre ses principes en pratique, au besoin.

M. Belmont déchargea ainsi son cœur avec animation et rapidité, sans être, une seule fois, interrompu par Batoche. Quand il eut terminé, il devint plus calme et fut bientôt dans un état d’esprit convenable pour recevoir l’avis de son ami.

Batoche parla peu et avec réflexion. Quant à ce qui le regardait, M. Belmont ne devait pas craindre d’être importuné par ses allées et venues, de la ville au dehors. Il n’avait aucune crainte des loups ; il n’avait pour eux que de la haine. Il se riait de leurs menaces. Pas un seul de ces Anglais n’était assez adroit pour le prendre au piège. Il continuerait ses visites tant que cela lui ferait plaisir, mais il ne s’approcherait plus de la maison de M. Belmont. Quant à ce qui concernait celui-ci, il lui conseillait tout simplement de maintenir sa position et de ne pas se compromettre par la fuite. Il savait que son ami n’était pas un poltron, mais la fuite était un acte de lâcheté. Et puis, il fallait songer à Pauline — argument tout-puissant. Toute sa vie lui avait été consacrée : qu’elle lui fût dévouée jusqu’à la fin. Il avait, par égard pour elle, supporté beaucoup d’épreuves, il ne devait pas reculer devant ce nouveau sacrifice, plus grand que tous les autres. La chère enfant pourrait bien acquiescer à ses désirs, mais cette résignation à la volonté paternelle lui ferait verser secrètement bien des larmes et ses pareilles étaient trop bonnes pour être rendues malheureuses. D’ailleurs, M. Belmont devait penser à ses compatriotes. Il était l’homme le plus en vue parmi eux. S’il fuyait, ils seraient tous mis au ban. S’il les abandonnait, que feraient la plupart d’entre eux, à l’heure suprême des épreuves qui allait venir ?

M. Belmont écouta attentivement, presque religieusement les paroles de cet homme qu’il avait tant appris à admirer, depuis peu, et dont la sagesse n’avait jamais été plus apparente qu’en cette occasion. Il remercia chaleureusement Batoche, sans toutefois déclarer qu’il suivrait son avis. Au lieu de cela, il le prit par la main et l’attira dans la pièce où les jeunes gens étaient assis.

Ceux-ci, de leur côté, avaient eu une conversation absorbante.