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les bastonnais

Qui peut apprécier l’effet d’un tel entretien sur ceux qui y participèrent, en un tel lieu, dans un tel endroit, à une telle heure et parmi tant de circonstances frappantes ? Il fut profond, pénétrant et ineffaçable, et la suite de notre histoire montrera que la plupart des événements qui en forment le dénouement remontent directement à cette mémorable soirée.

Quand M. Belmont s’avança avec Batoche, il s’adressa aussitôt à Cary Singleton, lui demandant son avis sur le sujet de la conférence qui venait d’être tenue dans l’alcôve. Le jeune officier, à cet appel soudain, rougit et balbutia d’abord, mais il répondit ensuite d’une manière virile que, tout apôtre de la liberté qu’il était, par le pistolet et le sabre, et entièrement dévoué à la cause, jusqu’à verser son sang pour elle, il ne pouvait avoir la témérité de donner des avis à un homme comme M. Belmont. D’abord, il était trop jeune ; ensuite il n’était pas suffisamment au courant des circonstances de ce cas. Il ajouta, en jetant un coup d’œil ardent sur les deux jolies personnes à ses côtés, qu’elles étaient plus capables que lui de décider la question, mademoiselle Belmont s’inspirant des intérêts de son père et mademoiselle Sarpy parlant dans l’intérêt de sa meilleure amie.

Ainsi appelée à donner son avis, Zulma déclara promptement qu’elle ne saurait dire s’il était préférable que M. Belmont demeurât hors de la ville, mais que s’il prenait cette décision, elle lui offrait, au nom de son père, comme en son nom personnel, l’hospitalité au manoir Sarpy.

Elle ajouta même qu’elle ne permettrait à Pauline de demeurer nulle part ailleurs. Cary sourit et remercia Zulma d’un signe de tête approbateur. Pauline n’eut pas un mot à dire, mais sa réponse ne fut que trop péniblement significative : elle couvrit sa figure de ses mains et se laissa aller à une véritable tempête de larmes.

La perplexité était peinte sur tous les traits. Seul, Batoche garda sa sérénité d’esprit, et il dit avec calme, mais presque d’un ton d’autorité.

M. Belmont, il est près de minuit. La route est longue. Il faut prendre une décision sans délai. Qu’en dites-vous ?

M. Belmont hésitait encore.

— Eh bien ! dit-il enfin, Pauline décidera. Partirons-nous, ou resterons-nous, ma chérie ?

Pauline se leva aussitôt et murmura en jetant à son père un regard suppliant :