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les bastonnais

Pauline et ses amis abandonnèrent tout espoir de voir Zulma au milieu d’eux. Toutefois, celle-ci ne se découragea pas si facilement. Ces rebuffades ne firent qu’enflammer son désir et bien que le temps passât rapidement, elle n’abandonna pas son projet. Très sérieusement, elle demanda à Batoche s’il ne pourrait pas la faire passer en contrebande à l’intérieur de la ville. La proposition sourit d’abord au vieillard et lui fit briller les yeux ; mais, après y avoir pensé, il la repoussa en riant.

« Le difficile ce serait pas tant de vous faire pénétrer dans la ville, que de savoir que faire de vous, une fois entrée, dit-il de son air malin. Les femmes sont des objets difficiles à manier, dans un camp de soldats. Aucun déguisement ne peut les cacher aux regards indiscrets. »

En dernier ressort, Zulma résolut d’en appeler directement à Mgr Briand, auquel Carleton ne pourrait certainement rien refuser. Il y avait, à cette mesure, de nombreuses et patentes objections, mais la jeune fille au caractère impétueux les surmonta toutes, et, après avoir écrit une lettre splendide de forme autant que de diplomatie, elle avait pris des mesures pour la faire remettre au prélat en toute sécurité. Un événement imprévu lui épargna les conséquences de cette aimable audace :

Comme nous l’avons dit, le temps avait passé vite depuis les terribles événements de la veille du jour de l’an. Janvier avait fait place à février, et mars était arrivé avec la promesse d’un printemps exceptionnellement hâtif. Aucun événement militaire de quelqu’importance n’était survenu ; du moins, aucun qui eût quelque rapport avec notre récit, et à part les circonstances relatives à la longue maladie de Cary, il ne s’était rien produit de nature à nous attarder sur ces rudes mois de l’hiver.

Singleton était assez bien rétabli pour pouvoir se promener un peu, mais il restait très faible, n’ayant pas l’occasion de prendre le libre exercice si nécessaire à son rétablissement complet. Sa présence dans la maison de M. Belmont devenait quelque peu singulière. Le régime de la prison lui était interdit par le médecin compatissant, tandis qu’au point de vue militaire, il était évidemment impossible de lui permettre de circuler librement dans les rues de Québec. Fort heureusement, ce difficile problème fut résolu par un échange partiel de prisonniers qui eut lieu vers la mi-mars et dans lequel, par un privilège spécial, Cary fut compris.

Le moment de sa séparation d’avec Pauline fut très cruel. Le jeune homme ne pouvait s’expliquer à lui-même l’intensité du regret que lui causait cette séparation. Ce regret prenait sa source