Page:Lespérance - Les Bastonnais, 1896.djvu/248

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
246
les bastonnais

torpeur habituelle. Le docteur, qui était là pour surveiller l’effet de la nouvelle ne fut pas très satisfait. Il avait espéré un succès plus marqué, et il fut sur le point de craindre que le secours ne fût venu trop tard. Il ordonna en conséquence de remettre le départ à quelques jours pour lui permettre d’administrer quelques stimulants et quelques reconstituants à sa débile patiente.

C’est durant cet intervalle critique que Zulma reçut une lettre de son frère Eugène répétant la rumeur courante que Pauline se mourait. Il ajouta, néanmoins, qu’on allait faire un suprême effort pour la transporter hors de la ville.

XII
dans la fournaise.

Après trois jours de bons soins, Pauline avait repris assez de forces pour pouvoir quitter son lit et s’asseoir dans un fauteuil. Elle déclara à son père et au médecin de la famille qu’elle se sentait assez forte pour entreprendre le voyage dès le lendemain matin. Toutefois, elle y mit une condition : elle voulait voir Roderick Hardinge sans délai. Le jeune officier avait toujours été très fidèle dans ses attentions à son égard. Matin et soir, il allait prendre de ses nouvelles ; mais depuis dix ou douze jours, aucun étranger, pas même lui, n’avait été admis à sa chambre.

Quand Pauline fit connaître son désir, le docteur secoua la tête. M. Belmont, néanmoins, donna aussitôt sa permission.

— Vous le verrez, ma chérie. Je vais l’envoyer chercher immédiatement.

Hardinge était de service sur les remparts, mais il obtint une permission sans délai et il s’empressa de répondre à l’appel qui lui était fait. Pourquoi son cœur battait-il si vite pendant qu’il parcourait les rues en toute hâte ? Pourquoi sa main tremblait-elle lorsqu’il leva le marteau de la porte ? L’instinct de Roderick était fidèle comme celui de toutes les personnes à l’esprit droit et simple. Une ombre planait sur lui depuis plusieurs semaines et il la sentait maintenant s’étendre et s’épaissir jusqu’à produire les ténèbres dans son esprit. En dépit de lui-même, il avait au fond de l’âme un pressentiment sinistre. Tandis que la perspective de sa carrière militaire devenait de plus en plus brillante et que son succès était de jour en jour plus assuré, ce pressentiment lui disait que son sort personnel déclinait, et que les plus chères espérances de son cœur allaient s’abîmer dans le gouffre du désappointement. Il ne pouvait exprimer ce qu’il ressentait. Extérieurement, Pauline était toujours