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les bastonnais

— Chère Pauline, ne parlez pas ainsi. Votre cas n’est pas le moins du monde désespéré. Un changement d’air et de milieu vous ranimera. Tous deux, nous verrons encore de meilleurs jours, croyez-moi.

— Vous, peut-être, Roddy, et ce sera l’objet de ma dernière prière ; mais non pas moi. Hélas ! pas moi !

Tout en retenant entre ses mains la main blanche et amaigrie de la malade, Hardinge se jeta à ses pieds en pleurant et la suppliant de retirer ces paroles de désolation.

Pauline se mit sur son séant et d’une voix qui tremblait étrangement, elle s’écria :

— Levez-vous, Roderick Hardinge. Ne vous agenouillez pas devant moi. Ce serait à moi de me prosterner devant vous. Je vous ai fait demander pour vous dire adieu ; mais ce n’est pas tout. Je n’ai pas voulu partir sans vous demander pardon.

— Me demander pardon, Pauline ? Mais, c’est du délire !

— Oui, vous demander pardon : Je vous ai été infidèle.

À ces mots, la pauvre jeune fille se laissa complètement abattre. Elle détourna la tête et éclata en sanglots.

Roderick se leva, la tête en feu. Avait-il bien entendu, ou bien était-il dans le délire ? Il fut bientôt rappelé à la réalité par une douce voix qui le priait de s’asseoir et de tout entendre.

— Ça été plus fort que moi. Roddy. Tout cela s’est fait sans que j’en eusse conscience. Si j’avais su ce que je sais maintenant, cela ne serait pas arrivé. Ce n’est pas moi qui ai amené le concours des circonstances. Vous et moi avons tout fait pour le mieux ; mais la fatalité est venue.

Ce fut pour moi une terrible révélation. C’est un coup funeste porté à ma santé et à ma vie. Mais c’est ma faute tout de même. Votre conduite, du commencement à la fin, a été noble et vous n’avez pas mérité d’être ainsi traité. Je le répète : c’est entièrement ma faute. Je consens volontiers à l’expier. Je suis heureuse de mourir. Ma mort finira toutes ces angoisses. Adieu, Roddy. Un baiser d’adieu et votre pardon.

Tout étrange que cela puisse paraître, pendant ce discours qui résonnait comme la musique d’une harpe brisée, Roderick demeura parfaitement calme et froid. Il comprenait tout, maintenant, avec la perception la plus subtile. Le nuage obscur se dissipait et la lumière l’inondait. Cette lumière venait du ciel, car elle échauffait son âme et l’exaltait jusqu’à l’héroïsme.

— Pauline, dit-il du ton le plus doux, le spasme est passé, et je puis vous parler comme autrefois. Je serai court, car je vois que