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les bastonnais

l’effort que vous avez fait a épuisé vos forces. Vous avez été injuste envers vous-même et envers moi. Mon pardon, chère amie ? Vous n’avez pas à le demander. Vous ne m’avez fait aucun tort. Je n’avais aucun droit sur vous. Nous nous sommes connus pendant plusieurs années et nous nous sommes aimés ?

— Ah ! Roddy, ah ! beaucoup aimés ! Ces douces paroles murmurées à voix basse furent pour le jeune homme comme le murmure des eaux coulant sur les petits cailloux du ruisseau.

— Oui, beaucoup aimés Pauline. Mais l’amour ne nous appartient pas. Une volonté bien supérieure à la nôtre en dispose. Nous avions espéré que notre liaison se terminerait autrement — du moins, tel était mon espoir.

— Et le mien, Roddy.

— Mais puisque cela ne doit pas être, nous devons nous incliner devant la Puissance souveraine. L’homme n’est pas l’arbitre de sa destinée. Fausse envers moi, vous, Pauline ! Jamais cœur plus sincère que le vôtre n’a respiré l’air du ciel. Vous ne pourriez être fausse envers personne. Oh ! chère amie, retirez toutes ces expressions amères. Souvenez-vous de moi ; rappelez-vous votre vieil ami. Puisse la bénédiction divine vous accompagner. Allez dans une atmosphère plus libre, au milieu de scènes plus gaies, recouvrer votre santé et cette beauté que j’ai adorée. Adieu, Pauline, Adieu.

Elle ne l’entendit pas. Accablée par l’émotion et la fatigue, la pauvre enfant s’était laissée aller dans les régions du bienfaisant oubli. Il imprima sur son front un dernier baiser et sortit de la chambre. À la porte, il rencontra M. Belmont, dont il serra silencieusement la main. Il sortit alors et rentra dans le monde, homme nouveau et comme purifié par le feu.

Le lendemain matin, sur un talus élevé, de niveau avec la muraille d’enceinte et dominant la porte, Roderick Hardinge appuyé sur son sabre attendait l’arrivée de la voiture. Il ne voulait pas raviver le chagrin de Pauline, mais il n’avait pu résister au désir de la revoir une dernière fois. Bientôt le triste cortège de la malade s’arrêta au corps de garde pour les formalités exigées. Les amis qui avaient tenu à accompagner les voyageurs aussi loin que possible firent alors leurs adieux et la voiture s’engouffrant sous la grande voûte de la porte, tourna dans la vallée, laissant en arrière la vieille ville. Le bruit lugubre de la porte qui se refermait et des lourdes chaînes qui se tendaient de nouveau eut un écho sinistre dans le cœur de celle qui partait et de celui qui restait. Le beau passé s’évanouissait et quel avenir le remplacerait ? Un instant après, à un angle de la route, Pauline tourna la tête sur son coussin