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les bastonnais

XIII
à valcartier.

Batoche, qui paraissait avoir le don d’ubiquité était venu là, juste hors de la portée des canons de la garnison, à la rencontre de la voiture. Quoique personne ne lui eût donné de renseignements, il connaissait tous les détails de l’arrivée de M. Belmont et il était là, à la portière de la voiture comme si la chose eût été la plus naturelle du monde. Après les salutations réciproques, le vieillard invita M. Belmont à se rendre à Montmorency.

— Ma cabane est petite, mais je l’ai rendue confortable, dit-il. Là, notre chère malade jouira de la solitude, de l’air pur, d’une vue magnifique. C’est justement ce qu’il lui faut.

— Non, Batoche, je vous remercie, répondit M. Belmont d’un ton résolu.

Le vieillard leva les yeux d’un air d’étonnement ; mais devinant sans doute le motif du refus, il n’insista point.

— Alors, allez à la Pointe-aux-Trembles. Zulma vous y invite de la manière la plus pressante. Si elle avait su que vous arriveriez aujourd’hui, elle vous ferait ici même et en ce moment cette invitation.

Ce fut alors au tour de Pauline à prendre la parole.

— Non, non ; pas là, dit-elle, en secouant la tête et en rougissant. Je suis très désireuse de voir Zulma. Il faut même que je la voie, mais non chez elle.

Encore une fois, Batoche s’abstint d’insister.

— Ma destination était Valcartier, reprit M. Belmont, et je ne vois aucune raison de changer d’avis. Pauline a besoin d’un repos absolu. Il faut qu’elle soit éloignée du bruit du monde. Valcartier répond à mes vues : — à quinze milles de la ville, au centre d’un paysage splendide. C’est là que nous irons.

— J’irai avec vous, dit Batoche.

Le long trajet, bien loin de fatiguer l’invalide, la ranima un peu. Les routes étaient bonnes, la température devenait plus chaude à mesure que le jour s’avançait et la conversation du vieux solitaire était amusante au possible. Il jouait avec la situation en artiste consommé. Il aborda tous les sujets de conversation, sans éviter systématiquement la maladie de Pauline ni les noms de Zulma et de Cary, de peur que cette omission ne fît naître un soupçon, mais il eut soin de n’y toucher que rarement et incidemment, comme si c’étaient là des choses de la moindre impor-