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tance. Le résultat de son stratagème fut de mettre Pauline dans un état d’esprit qui ressemblait à de la bonne humeur. Il la fit sourire légèrement à plusieurs de ses histoires et quand il la voyait retomber dans la torpeur causée soit par la débilité, soit par des pensées rétrospectives, il rappelait la lumière dans son regard et la couleur à ses joues par le récit de quelque aventure émouvante. Quand, après plusieurs relais, on arriva à Valcartier, Pauline fut assez forte pour descendre de la voiture avec l’aide de son père et de Batoche. On choisit une maison convenable, à une petite distance du hameau, et l’on fit tous les arrangements pour la commodité des nouveaux occupants. Batoche demeura deux jours avec eux, se faisant aimer davantage, s’il est possible, par ses attentions si bonnes et si intelligentes. Quand il fut sur le point de partir, Pauline lui dit :

— Ne dites à personne que je suis ici.

— Mais je croyais vous avoir entendu dire que vous désiriez voir Zulma ?

— Pas maintenant. Un peu plus tard.

— Fort bien. Je ne le dirai à personne. Je n’en ai jamais eu l’intention, du reste.

Et il sourit, de la manière étrange qui lui était habituelle, Pauline ne put s’empêcher de sourire un peu aussi, en voyant clairement que le vieux devin savait tout.

Batoche ne garda pas longtemps, néanmoins, ses manières enjouées, car une fois en route, il se tint à lui-même ce discours, tout en cheminant :

— Je n’ai pu insister sur le choix de Montmorency ou de la Pointe-aux-Trembles, mais Valcartier est une erreur. Pauline ne trouvera pas là ce qu’elle cherche. J’ai promis le silence et je tiendrai ma promesse. Certes, je n’ai pas l’intention de révéler sa retraite, car il n’appartient pas à un vieux bonhomme comme moi de me mêler des affaires des jeunes gens. Toutefois, il faut absolument que la solitude de Pauline soit découverte et je n’ai aucun doute qu’elle le soit. S’il n’en est pas ainsi, la pauvre enfant dépérira et mourra là aussi sûrement qu’elle l’aurait fait dans l’enceinte de Québec.

Ces prévisions s’accomplirent presque immédiatement. À peine Batoche avait-il quitté Valcartier, qu’un sentiment irrésistible d’isolement s’empara de Pauline. Le mieux que l’animation du voyage et la compagnie du vieux soldat avaient produit, disparut aussitôt. L’espoir de M. Belmont fit place à de nouvelles alarmes. Son anxiété augmenta surtout lorsqu’il découvrit qu’il n’y avait pas de