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les bastonnais

médecin dans le village. Il n’avait pas prévu le besoin de l’homme de l’art, son propre docteur lui ayant assuré que Pauline, à l’exception de quelques toniques et de reconstituants qu’il lui fournit, n’avait besoin d’autre traitement que le repos et le changement d’air. Dans sa détresse, M. Belmont appela un médecin sauvage de Lorette, village voisin, égal, lui assura-t-on, à tout autre membre de la profession, dans la province. Le Huron, après avoir visité la patiente, prit à part M. Belmont et lui dit en montrant le cœur :

— Le mal est là. Seul, le Grand Esprit peut le guérir.

Était-il donc décidé que la douce Pauline devait mourir ?

XIV
l’amitié plus forte que l’amour.

Depuis que Zulma avait reçu la lettre de son frère lui apprenant l’état critique de Pauline, elle avait été dans une constante anxiété. Son inquiétude ne fut un peu calmée que lorsqu’elle apprit le projet de départ de la ville. L’intérêt que Cary Singleton portait à la jeune malade n’était pas moindre. Il était d’une autre nature, mais beaucoup plus profond. Quand, à la porte du manoir Sarpy, il avait entendu des lèvres de Zulma ces mots : « Pauline se meurt, » il avait sauté en selle et s’était rendu au triple galop au camp, où il avait rencontré Batoche. Il l’avait chargé de rechercher tous les moyens de communiquer directement avec M. Belmont. Par l’intermédiaire du vieillard, il avait suivi chaque jour les phases de la maladie. Mais il fut grandement surpris et fort ennuyé de ce que Batoche ne lui avait pas appris que Pauline était sortie de Québec et de ce que le vieillard avait été deux jours absent sans l’en prévenir. Cary et Zulma s’entretinrent souvent de leur amie commune. Le jeune officier ouvrit son cœur sans réserve, n’ayant pas conscience qu’il eût rien à cacher et comptant implicitement sur Zulma comme la première personne au monde à laquelle il pût faire ses confidences et de laquelle il pût attendre de la sympathie. Cette simplicité, tout d’abord, parut très naturelle à Zulma, parce qu’elle-même était simple et avait toujours suivi les impulsions de son cœur, sans mélange d’égoïsme et sans soupçon de pénibles conséquences. Nonobstant la singulière conversation qui avait eu lieu entre eux sur les bords du St-Laurent, comme nous l’avons rapporté, leur confiance mutuelle ne s’était pas amoindrie le moins du monde, et tandis que Zulma ne craignait pas