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les bastonnais

pour laisser l’impression qu’il était sous le coup de quelque calamité imminente. Le soir précédent, en lui disant au revoir, ses manières étaient brusques, étranges, presque farouches. Il était tendre et pourtant rude. Si elle ne l’avait pas su sous le coup d’un terrible chagrin, elle aurait pu craindre qu’il ne se laissât aller à la colère. Il protesta de son éternelle gratitude. Il exprima son amour en paroles brûlantes. Il fut beau, dans la grandeur de ses sentiments et pourtant il y avait en tout cela quelque chose d’indéfini qui rendit son départ particulièrement pénible à Pauline et lui causa une fâcheuse impression.

Ses dernières paroles furent :

« Si vous ne voulez-pas consentir à vivre, Pauline, il ne me reste qu’une chose à faire. Vous comprenez ?

Elle l’avait parfaitement compris. Ces mots avaient continuellement retenti à ses oreilles depuis lors, et maintenant, à l’aspect de son père, elle soupçonna tout à coup que ces sinistres paroles avaient peut-être reçu leur accomplissement. Cary était-il tué ? Avait-il cherché la mort dans la bataille ? Le doute ne pouvait souffrir aucun délai et, rassemblant toutes ses forces, elle interrogea brusquement M. Belmont.

— Non, pas mort, mon enfant, mais…

— Mais quoi, père ? Je vous en prie, dites-moi tout.

— Ils sont partis ! Le siège est levé. C’était imprévu et cela s’est fait avec la plus grande précipitation.

— Et lui !…… parti aussi ?

— Hélas ! ma chérie.

— Autant vaudrait qu’il fût mort !…

Et poussant un cri perçant, Pauline retomba sur son oreiller, évanouie.

Le cri fut entendu par Zulma, qui était dans le jardin et elle se précipita dans la chambre. Le visage de la malade était si terriblement altéré que Zulma fut saisie d’horreur. Pauline avait absolument l’aspect d’un cadavre. On ne pouvait entendre aucune respiration et son pouls avait apparemment cessé de battre. On lui fit respirer des sels et l’on prit tous les moyens de lui faire reprendre ses sens, mais sans résultats. Zulma et M. Belmont n’échangèrent pas un seul mot, mais tous deux crurent que c’était la fin. Avec le coucher du soleil et les ténèbres de la nuit, un terrible silence tomba sur la maison et dans ce calme lugubre, on semblait entendre vaguement le bruissement d’ailes de l’ange de la mort. Bientôt la tempête s’éleva, accompagnement digne d’une pareille scène. Les éclairs illuminaient le firmament et les grondements du tonnerre remplissaient d’horreur