Page:Lespérance - Les Bastonnais, 1896.djvu/266

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
264
les bastonnais

la nature. Une bourrasque balaya le pays remplissant l’air de cris lugubres, tandis que la pluie tombait par torrents. Durant de longues heures, Zulma resta agenouillée à côté du corps inanimé de sa compagne. M. Belmont était assis à la tête du lit, avec la rigidité d’un cadavre. Sans le secours de Celui dont l’œil toujours vigilant était fixé sur cette maison frappée par le malheur, qui sait quelle scène affreuse aurait éclairée le soleil du matin ?

Au milieu de l’orage, on entendit tout à coup le galop d’un cheval, puis presque aussitôt, du bruit à la porte. Zulma se tourna vers M. Belmont avec un doux sourire, tandis que celui-ci se réveillait de sa stupeur avec tous les signes de la terreur.

— Ciel ! nos ennemis sont-ils déjà sur nous ? s’écria-t-il en se levant en sursaut.

— Ne craignez rien, dit Zulma en se levant aussi : Ce sont nos amis.

Elle alla ouvrir la porte et Cary Singleton entra, accompagné de Batoche. Tous deux étaient couverts de boue et leurs traits hagards témoignaient de leur trouble. Un coup d’œil leur suffit pour leur révéler la situation. Le jeune officier, après avoir pressé la main de Zulma et celle de M. Belmont resta quelques instants debout, les yeux fixés sur Pauline évanouie. Le vieillard en fit autant, à quelque distance en arrière. Bientôt, ce dernier toucha légèrement l’épaule de l’officier, qui se retourna. Les quatre amis tinrent alors pendant quelques minutes et à voix basse une consultation. Cary et Zulma, — cette dernière surtout, — parlant avec animation et résolution. On en arriva bien vite à une conclusion, car M. Belmont quitta précipitamment la chambre. Durant sa courte absence, tandis que les deux hommes reprenaient leur attitude d’observation près de la malade, Zulma porta une petite table près du chevet, la couvrit d’un linge blanc, y plaça deux chandeliers portant des cierges allumés et un petit vase rempli d’eau bénite dans lequel plongeait un léger rameau de cèdre. Elle fit tous ces préparatifs tranquillement, méthodiquement et avec adresse, comme s’il se fût agi d’une besogne ordinaire du ménage. Pas un instant elle ne leva les yeux de dessus son ouvrage, mais, grâce à l’augmentation de lumière dans la chambre, on aurait pu remarquer sur chacune de ses joues un point d’un rouge-feu. Cary, tout absorbé qu’il était dans ses méditations, ne put s’empêcher de jeter un regard sur elle, tandis qu’elle circulait ainsi, tandis que Batoche, sans toutefois lever la tête, ne perdait pas de vue un seul de ses mouvements. Qui peut dire ce qui se passa dans le cœur de ces trois personnes, ou combien de leur existence ils vécurent durant ces quelques instants ?

À peine Zulma avait-elle terminé ses préparatifs, que M. Belmont