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les bastonnais

M. Belmont, ne me reconnaissez-vous pas ?

Le maître de la maison n’accepta pas la poignée de main si franchement offerte. Il recula, au contraire, et se redressant de toute sa hauteur, il s’écria :

— Le lieutenant Hardinge !

Roderick fit un léger salut, mais ne dit rien. M. Belmont continua :

— Venez-vous ici, Monsieur, à titre de militaire ?

Pour toute réponse, Hardinge ouvrit son long manteau.

— Ah ! vous êtes en civil. Alors, je ne puis comprendre l’objet de votre visite. Si vous étiez venu ici comme officier du roi, cette maison aurait été la vôtre et vous auriez pu agir comme il vous eût plu ; mais si vous venez comme simple citoyen, je dois vous rappeler que cette maison est la mienne et que j’y fais ce qu’il me plaît. Ce soir, tout particulièrement, je désire n’être pas dérangé.

Ceci était dit avec un ricanement poli qui blessa au vif le jeune officier ; mais il se contint et commença tranquillement :

M. Belmont…

— Monsieur, interrompit vivement celui-ci, je n’ai pas donné d’explications et je n’en désire aucune. Vous m’obligerez en… et il finit la phrase par un geste de la main vers la porte.

Roderick ne bougea pas, mais il essaya de nouveau de se faire entendre.

— En vérité, M. Belmont…

— Monsieur, avez-vous l’intention de m’imposer votre présence ? Je sais que la ville est sous le coup d’une espèce de loi martiale. Vous êtes officier. Vous pouvez fouiller ma maison de la cave au grenier. Vous pouvez y établir vos quartiers. Vous pouvez m’y retenir prisonnier. En un mot, vous pouvez faire ce qu’il vous plaît. Si telle est votre intention, dites, et je ne résisterai pas. Mais dans le cas contraire, j’invoque mon droit d’inviolabilité. Vous proclamez, vous, Anglais, que la maison de tout sujet anglais est son château-fort. Mon désir est de maintenir ce privilège dans le cas actuel.

À cette troisième sommation d’expulsion, le calme d’Hardinge fut complètement troublé, et il allait tourner les talons quand, levant les yeux, il aperçut le bord d’une robe blanche flottant au haut de l’escalier. Cette vue suffit à changer subitement sa résolution.

Pauline était là écoutant cet entretien dont devait dépendre leur avenir à tous deux, et sa présence fut toute-puissante pour ranimer son courage et lui inspirer les moyens de réussir à se tirer de sa position difficile.