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les bastonnais

choses n’en étaient pas encore au plus mal ; le siège ne commencerait sans doute pas avant plusieurs semaines et ils auraient tout le temps d’échanger encore des communications.

Après cette conférence, Eugène accompagna son père et sa sœur à la rue où les attendait leur traîneau. Tous trois échangeaient des paroles d’adieu, quand un jeune officier anglais passa près d’eux d’un pas rapide. Il aurait certainement continué son chemin sans les remarquer, si l’un des gants de Zulma n’était tombé à ses pieds sur le trottoir. Était-ce accident ou provocation ? Qui sait ? Mais quoi que ce fût, l’officier ramassa aussitôt le gant et le remit à sa propriétaire avec un profond salut. Roderick Hardinge reconnut alors la belle amazone.

Ils n’eurent que le temps d’échanger quelques paroles.

— Lieutenant, dit Zulma, avec ce franc rire qui avait tant enchanté Roderick la première fois qu’il l’avait entendu, j’ai l’honneur de vous présenter un loyal soldat dans la personne de mon frère qui vient de prendre la résolution de servir pour la défense de la ville.

— Je suis fier de l’apprendre. Eugène et moi sommes deux vieux amis et je suis heureux de savoir que nous allons être compagnons d’armes.

— Mais, lieutenant, continua Zulma, vous serez peut-être surpris d’apprendre qu’il ne fait, en cela, que suivre mes conseils.

— Vraiment ! Ce m’est certainement une agréable surprise. J’ai donc raison d’espérer que vous aussi, mademoiselle, vous prendrez parti pour notre cause.

— C’est tout une autre affaire. Avant de prendre, je dois être prise, vous savez ? et, de nouveau elle fit entendre un joyeux éclat de rire.

— Vous voulez dire qu’avant que nous vous prenions…

— Il faudra que vous m’attrapiez.

— J’avoue que c’est difficile, si j’en juge par ma première expérience ; mais ce sera fait tout de même.

— Jamais, s’écria Zulma dont les joues se colorèrent subitement.

— Je le répète, et retenez-le bien : cela se fera.

Et après quelques autres propos tenus sur le ton de la plaisanterie, on se sépara.

Chemin faisant, le sieur Sarpy questionna sa fille. Il connaissait la force de son esprit, le métal bien trempé de son caractère. Sa conversation avec Hardinge, toute folâtre qu’elle partit à la surface, avait pourtant, il en était sûr, une plus sérieuse signification. Mais cette étonnante jeune personne était très tendre et très affectionnée