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les bastonnais

pour lui, en dépit de toutes ses espiègleries et elle ne voulut pas lui causer de peine en lui révélant les secrètes pensées qui agitaient son esprit et son cœur depuis le matin. Son père avait demandé de la tranquillité pendant les jours troublés qui allaient venir ; elle avait décidé que son désir serait exaucé, autant qu’il dépendait d’elle.

D’ailleurs, il était encore bien trop tôt pour alarmer l’esprit du vieillard de sinistres présages.

Elle le rassura, au contraire, et le calma par des paroles de confiance, et quand il franchit le seuil de son manoir, dans la soirée, le vieillard solitaire sentit qu’il était vraiment en sûreté sous la protection de sa fille.

III
les soldats de tôle.

Le lendemain matin, la neige avait cessé de tomber, et quoique le ciel fût resté sombre, il n’y avait aucun signe de tempête. D’ailleurs, la saison était encore trop peu avancée pour que les tempêtes de neige fussent fréquentes et abondantes. Le climat du Canada a une particularité que les météorologistes n’ont pas encore pu expliquer : c’est que, tandis que dans d’autres parties du continent, comme le Nord-Ouest, par exemple, et même tout le long de la vallée du Mississippi, aussi loin que Saint-Louis, la température de l’hiver s’est adoucie à mesure que les forêts ont été abattues et que le sol a été défriché, au Canada, elle est restée précisément telle qu’elle était il y a deux ou trois cents ans. Une comparaison des registres journaliers tenus aujourd’hui avec les observations consignées dans les Relations des Jésuites montre, comme le dit l’historien Ferland, que, jour par jour et mois par mois, les indications du thermomètre en 1876, par exemple, correspondent avec celles de 1776. De nos jours, au Canada, bien que le froid commence réellement à se faire sentir au commencement de novembre, on n’y regarde pas l’hiver comme sérieusement commencé avant le 25 de ce mois. Cette date est connue comme jour de la Sainte-Catherine, dont nous décrirons plus loin la célébration originale, à propos d’un des épisodes de notre récit. On peut donc supposer que le dernier mois de l’automne de 1775 a suivi la règle générale. En réalité, nous savons, par les archives, qu’il fut plus doux que d’habitude et que l’hiver, cette année-là, fut exceptionnellement tardif, un vaisseau ayant fait voile de Québec pour l’Europe le 31 décembre.

Comme nous l’avons dit, le temps était froid, mais calme, le