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les bastonnais

matin dont nous parlons. La neige était friable et solide sur les surfaces planes ; dans les déclivités et les gorges, elle s’était amoncelée en petits bancs floconneux. L’atmosphère était telle que, tout en pinçant d’abord les oreilles, les mains, les joues et autres parties du corps exposées à l’air, elle procurait une agréable sensation de légèreté dès que l’on s’y était habitué. C’était un temps magnifique pour se livrer au travail ; aussi un bon nombre de robustes fermières demeurant près de la rive nord, un peu au-dessus de Québec, s’étaient-elles réunies à la rivière pour y faire leur blanchissage. Elles portaient d’immenses bonnets piqués à grandes oreillettes, des jupes de laine épaisse, bleue ou violette, façonnées de leurs propres mains, de gros bas de même couleur et des chaussures doublées de flanelle. Un grand fichu double, à dessins fleuris couvrait leurs larges épaules, leurs cous et se croisait sur leurs volumineuses poitrines ; mais les bras conservaient libre jeu et s’étalaient roses sous l’influence du travail et de la température. Une large planche attachée à la rive s’étendait à cinq ou six pieds dans l’eau, supportée à sa lisière extérieure, à un niveau convenable par un solide support. Un canot était attaché à cette jetée primitive et à côté s’élevait une petite cabane de bois brut qui servait aux femmes pour faire bouillir leur linge ou le faire sécher.

Quatre femmes travaillaient ensem­ble le long d’une planche, et, comme on le pense bien, c’était, parmi elles, un feu roulant de conversation. Mais quand, par hasard, le babillage devenait moins ani­mé que d’habitude, ou quand il leur arrivait de n’être pas d’avis différents, elles s’adressaient à leurs compagnes qui travaillaient pareillement, tout en bavardant, à quelques pas à droite et à gauche.

L’une des plus animées, une vigoureuse commère qui frappait si fort de son battoir sur un paquet rebondi de linge jaunâtre, que des mèches de cheveux noirs sortaient de son bonnet et voltigeaient sur son front, paraissait être l’oracle de l’assemblée.