Page:Lespérance - Les Bastonnais, 1896.djvu/82

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
80
les bastonnais

— C’est peut-être la dernière fois que nous lavons du linge ici, disait-elle. Ce sont des hommes terribles, que ceux qui sont arrivés là-bas. On les appelle les Bastonnais. Ils viennent de très loin et sont très méchants. Ils brûleront nos maisons et nos granges. Ils videront nos caves et nos greniers. J’ai vu hier M. le curé, et il m’a dit qu’il nous faudrait nous enfermer et ne pas nous montrer la figure, parce que… vous savez !

— Bah ! Joséphine, dit une autre, ce ne sera pas si terrible que cela. Mon vieux dit qu’ils sont comme les autres hommes. Je n’ai pas peur. Je leur parlerai. Je suis sûr qu’il y a de jolis garçons parmi eux.

— Marguerite est toujours coquette, continua une troisième ; mais elle n’aura pas de chance. Ces étrangers sont pauvres, maigres, brisés de fatigue et mal vêtus. Ce ne sont pas des soldats comme ceux de la citadelle. Pas de dentelles, pas de galons d’or, pas d’épaulettes, pas de plumes à leurs chapeaux. Les officiers n’ont pas d’épées et beaucoup de soldats sont sans fusil. Je ne voudrais pas permettre à des hommes comme ça de m’approcher, et s’ils viennent chez nous, je les ferai vite déguerpir avec ce battoir.

Et sur ce, la vaillante femme recommença à battre son linge avec une nouvelle vigueur. La plus jeune et la plus jolie des quatre femmes ayant écouté tout cela, se redressa de sa cuvette et se mettant les poings sur les hanches :

— Pierriche, dit-elle, parlant de son mari, a passé l’après-midi hier à la ville. Vous savez que Pierriche est un grand causeur et aime à savoir toutes les nouvelles. Chaque fois qu’il va à la ville, il en a assez à raconter pour une semaine. Eh bien ! savez-vous ce qu’il dit ? Il est tellement blagueur que je ne l’ai pas cru et que je ne le crois guère maintenant encore : mais il m’a juré que c’est vrai.

— Qu’est-ce que c’est ? demandèrent en même temps ses trois compagnes.

— Eh bien, il dit qu’après avoir passé quelque temps à la haute-ville et vendu ce qu’il avait dans sa voiture, il pensa à faire un tour à la basse-ville. Là, il rencontra un grand nombre de ses amis et l’un de ses cousins de Lévis. Et ils lui ont dit…

— Qu’est-ce qu’ils lui ont dit ? demandèrent les trois femmes qui avaient abandonné leur travail et s’étaient groupées autour de la narratrice.

— Eh bien, vous savez toutes que les bateaux ont été enlevés de l’autre côté de la rivière, mais ces hommes étaient tellement effrayés, qu’ils ont couru en descendant le long de la route jusqu’en face de