Page:Lespérance - Les Bastonnais, 1896.djvu/88

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
86
les bastonnais

vif de pin et de hêtre. Tout auprès, est élevée la cabane du propriétaire où sont emmagasinés tous les ustensiles nécessaires à la fabrication du sucre. Là aussi est suspendu son hamac, car durant tout le temps que coulent les érables, il vit comme un Indien dans la forêt.

Tout à coup on entend un bruit de voix sur le flanc des collines et bientôt tous les invités à la fête du sucre se trouvent réunis sous les érables. Ils ont apporté avec eux des paniers de provisions, des jambons, des œufs et la provision indispensable de boissons fortes.

— La première chose à faire, mes amis, crie l’hôte à ses invités, est de boire, à la santé des femmes de la forêt, un coup d’eau d’érable.

Aussitôt, les gobelets de fer-blanc sont placés sous les entailles.

Quand ils sont remplis, on boit le toast avec tous les honneurs.

— Maintenant, reprend l’hôte, venez au chaudron et recevez votre part de sirop.

L’un après l’autre, les invités s’approchent du grand chaudron où l’eau d’érable bout à gros bouillons. Chacun tient à la main un bassin de bois rempli de neige fraîche et propre, dans lequel le propriétaire hospitalier verse le fluide doré. Accompagné de pain frais, ce plat est délicieux, car il faut remarquer que le sirop et le sucre d’érable ne rassasient pas bientôt et surtout ne donnent pas de nausées, comme le font les autres compositions saccharines.

Après ce repas préliminaire, les invités se livrent à divers amusements. Les plus âgés s’asseyent à la porte de la cabane et causent des ébats qu’ils prenaient, dans leur jeunesse, aux parties de sucre, tandis que les jeunes gens chantent, fleurettent, se promènent et s’amusent comme la jeunesse seule sait s’amuser. Quelques-uns des plus actifs vont ramasser des branches sèches et du bois mort pour entretenir le feu. D’autres se retirent un peu hors de vue pour rendre visite aux cruchons qu’ils ont cachés derrière les rochers.

Après quelque temps, l’hôte donne le signal de la fabrication de la tire. Cette partie des réjouissances est réservée aux jeunes filles. Elles ôtent leurs manteaux, relèvent leurs capuchons, retroussent leurs manches et plongent leurs doigts blancs dans la mare de sirop qui se refroidit rapidement. Le mouvement mécanique de retirer les bras en arrière et de les ramener en avant est, en lui-même, une occupation peu intéressante ; mais il n’en est pas moins vrai que sous ces érables canadiens, dans cette récon-