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les bastonnais

fortante atmosphère des montagnes, et au milieu de tous les accessoires de ce singulier pique-nique d’hiver, faire de la tire est un amusement pittoresque et réjouissant. Les jeunes filles deviennent rubicondes par l’exercice ; elles sont essoufflées, elles tendent leurs muscles avec effort, elles baissent la tête quand leurs amoureux se glissent sournoisement derrière elles pour leur voler un baiser, ou bien elles courent à la poursuite de l’impudent larron et appliquent à ses méchantes joues un soufflet, de leurs mains rendues collantes par le sirop.

Sous l’action de ce rapide pétrissage, le sirop noir devient d’abord plus brillant, puis il rougit ; il prend ensuite une teinte dorée et finalement devient blanc, plus blanc encore ; fin, puis encore plus fin, et la tire est faite.

Vers le milieu de l’après-midi a lieu le principal repas. On retire des paniers toutes les provisions que les invités ont apportées et on les dispose sur une longue table préparée pour l’occasion. L’eau d’érable et le sucre d’érable accompagnent tous les plats. Quand on a disposé de toutes les viandes, la fête se termine par la célèbre omelette au sucre d’érable. Quelle que pût être, à ce sujet, l’opinion de Soyer ou de Brillat-Savarin, c’est un mets agréable, quoique trop riche pour être mangé copieusement et, d’après tous les principes hygiéniques, de digestion difficile. Il est fait d’œufs légèrement bouillis et cassés dans le sirop d’érable un peu dilué et bouillant.

Après un tel repas, l’exercice est indispensable et il est de coutume de se livrer à la danse jusqu’à l’heure du départ.

— Mes amis, s’écrie l’hôte, quand ses invités sont sur le point de se lever de table, je suis content de voir que vous avez fait honneur à mon sirop et à mon sucre. C’est le meilleur signe qu’ils sont bons. Ça fait la réputation de ma sucrerie. Tâchez d’en garder le goût jusqu’à l’année prochaine, car j’espère que nous nous réunirons encore tous ensemble sous ces mêmes arbres.

Une salve d’applaudissements accueille ces paroles et la compagnie se met à chanter en chœur des chansons de chasse en l’honneur de l’hôte.

— Maintenant, reprend-il, il nous faut absolument avoir une danse. Je ne laisse jamais partir mes amis sans cela et j’entends bien prendre part moi-même à la première. Allons ! dépêchons-nous tous. Je vois un ou deux nuages menaçant là-haut et nous pourrions bien avoir une bordée avant la fin du jour.

On a bientôt découvert un ménétrier et la danse s’organise. Le violoneux appuie sa joue gauche d’une manière caressante sur