Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/218

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tion de Paris. De sa vie il n’avait connu cette espèce de délassement ; il y trouve de l’agrément et de la douceur : « C’est du plaisir, me disait-il, parce que cela ne durera guère ; car toujours cette vie-là deviendrait l’ennui le plus accablant ». Qu’il y a loin de là à un Français, à un homme aimable de la cour ! Ah ! le président de Montesquieu a raison : le gouvernement fait les hommes. Un homme doué d’énergie, d’élévation et de génie, est, dans ce pays-ci, comme un lion enchaîné dans une ménagerie ; et le sentiment qu’il a de sa force, le met à la torture : c’est un Patagon condamné à marcher sur ses genoux. Mon ami, il n’y a qu’une carrière ouverte pour la gloire, mais elle est belle ; c’est celle des Molière, des Racine, des Voltaire, des d’Alembert, etc., etc., etc. — Oui, mon ami, il faut vous borner à cela, parce que la nature l’a voulu ainsi. Bonsoir ; je ne sais pas si cette lettre partira : mais j’ai causé avec vous, et je me suis satisfaite.


Mardi matin.

Je vois que la poste pour Bordeaux part ce matin ; ainsi j’envoie ma lettre : si vous deviez, comme vous l’avez dit d’abord, arriver le 13, cela serait inutile. Dites-moi, de quelque part que vous m’écriviez, si vous avez été du 21 octobre au 1er novembre sans m’écrire. J’ai passé le courrier de lundi et de samedi de la semaine dernière, sans avoir de vos nouvelles : je ne puis exprimer dans quel abattement cela me jette : mon âme est morte, et mon corps est dans un état de souffrance qui vous ferait pitié. Ah ! mon ami, si vous en croyez M. Turgot, vous serez ici le 15.