Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/223

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la platitude ; et les gens du monde qui en parlent avec éloge, me semblent des valets qui disent du bien de leurs maîtres. Mon ami, si vous êtes encore contre moi dans le jugement que vous porterez de cette comédie, j’en serai bien fâchée : mais je n’en rabattrai pas un mot, parce qu’il ne s’agit pas de savoir jusqu’à quel degré cela est bon ou mauvais ; cela m’est mortel à moi, et nous étions quatre dans la loge accablés du même ennui. En voilà bien assez, et vous trouverez que j’ai conservé l’ennuyeux de l’ennui : peut-être aussi n’aurai-je pas la cruauté de vous envoyer ma lettre ; mais, en vous rendant compte de ma journée, je m’en console. — Avez-vous eu des nouvelles de madame votre mère ? est-elle mieux ? et le retour de M. votre père est-il certain ? Il n’y a que cela qui puisse me consoler de ce que vous avez quitté le faubourg. Et vous mon ami, qu’avez-vous fait de votre journée ? Pas un mot de ce que vous aviez dit, n’est-ce pas ? et demain vous ne travaillerez point : et ainsi toujours une activité qui fait cent projets, et une facilité qui fait céder au premier prétexte : des regrets, des désirs, de l’agitation et jamais du repos. Oh, mon ami ! il faut vous aimer avant que de vous connaître, comme j’ai fait : car, en vous jugeant, ce serait se dévouer à l’enfer que de lier son bonheur à vous. — Je vais vous dire toute ma journée de demain dimanche, pour que vous puissiez me donner les moments qui vous seront les moins incommodes. D’abord la messe, et puis une visite chez une malade jusqu’au dîner. Je dîne chez madame de Chatillon ; à cinq heures j’irai à l’hôtel de La Rochefoucauld, et je ne rentrerai qu’à six heures et demie pour ne plus sortir. Adieu, mon ami. Je vous aime ; mais je me sens trop triste et trop bête pour savoir vous le dire.