Page:Lettres de Mlle de Lespinasse (éd. Garnier).djvu/233

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mon ami, ce n’est que par la pensée que vous entendez tout cela ; ce n’est donc rien de tout cela que je devrais vous dire ; aussi ne contais-je vous écrire que pour vous dire de me renvoyer ou de me rapporter ce volume de Montaigne, que vous avez mis dans votre poche, il y a quelques jours. J’irai vous prendre avant deux heures ; n’ayez point de carrosse. Mon ami, il n’y a de noble, de juste et d’honnête, que de se soumettre à sa mauvaise fortune. Je connais tant de gens riches qui vont à pied pour leur plaisir, et tant de gens vieux et infirmes qui ne vont qu’en fiacre ! Je suis bien rabâcheuse, mon ami, c’est la preuve la plus tendre de mon intérêt ; car si vous saviez ce que sont pour moi les détails, ce qu’est pour moi le bonheur qu’on obtient à prix d’argent ! Mon Dieu ! ma situation actuelle prouve du reste que j’ai dédaigné la fortune ; elle a sans doute ses avantages, mais que de choses sont préférables ! Bonsoir, mon ami. Que faites-vous dans ce moment ? je vous défie d’être mieux que moi ; je suis occupée de ce que j’aime.

Soyez donc prêt avant deux heures.



LETTRE LXXX

1775.

Ce n’est pas que je vous croie curieux ; mais il faut pourtant que je vous dise que je sors à une heure, que je dine chez M. Turgot, que je vais à Orphée ; après l’Opéra, je vais chez madame Geoffrin jusqu’à minuit,